Brigitte NaHoN
« C’est l’incertitude des choses qui perdure. »

Votre travail vient s’inscrire dans la lignée de grands sculpteurs monumentaux, je pense notamment à Calder, Tinguely, et d’autres encore. Qu’est ce que cela fait d’être femme dans cette univers majoritairement masculin ?
C’est une bonne question et cela dépend sur quel niveau on se place. D’abord, la différence est en rapport au faire, F.A.I.R.E. donc, avec la Fabrication de la sculpture. Lorsque je dois faire une oeuvre monumentale je dois évidemment me faire aider et la réaliser en usine. On le sait, les travaux monumentaux sont souvent lourds et peuvent peser des tonnes. Je dois alors expliquer mon travail aux ouvriers, aux techniciens afin qu’ils fabriquent la pièce selon mes directives. Je supervise tous les travaux et parfois, interviens physiquement. Pour l’instant, je n'ai rencontré que des hommes qui travaillent l’acier dans les usines mis-à-part les secrétaires qui sont souvent des femmes. Le monde de l’acier est encore masculin.
Lorsque j'étais plus jeune, c’était toujours difficile de faire comprendre qu’une différence d’1 mm dans une courbe m’était essentielle. Je sentais que les ouvriers trouvaient mon exigence non pas due au fait de ma précision d’artiste mais au fait que j’étais, que je suis une femme. Enfin, cela dépend aussi des pays dans lesquels je travaille qui ont une culture plus ou moins machiste. Dans tous les cas, ce que je ressens c'est que mon approche d’artiste était et parfois est vue en tant que femme alors que mon travail ne met pas en avant ce fait. Je suis artiste, un point c’est tout.
Quant au marché de l’art. Il me semble qu’en tant femme, c’est beaucoup plus difficile de se faire une place même si l’époque a changé. Dans les années 90, mon ressenti était que l’on faisait d’avantage confiance à une femme artiste si elle n’était pas trop investie dans une vie familiale. Son rôle de mère pouvait être vu comme un handicap pour la création. Et c’est d’ailleurs, parfois, encore actuel aujourd’hui. Par contre, un homme artiste ne sera jamais vu comme une personne susceptible d’arrêter son travail pour se consacrer à ses enfants. Oui, je pense que les femmes sont toujours un peu sous-évaluées et cela dans tous les domaines quelque soit leur tâche. On fait avec et on y arrive quand même. Et puis de toutes les façons, il arrivera un moment où le travail des femmes sera récompensé de la même façon que celui des hommes. C’est une juste une question de patience (rires).

Vous parlez de ce faire, si important dans votre travail. Mais quel est la genèse de cette pratique si particulière qui est la votre ?
J’ai commencé à travailler la sculpture, si je peux dire à l’âge de trois ans ! (rires). À cette époque, j’ai eu un blocage pour parler. J’ai commencé à parler puis, j'ai arrêté de m’exprimer par le langage durant quelques mois. On m’a mise alors à travailler la pâte à modeler afin de retrouver la parole. C’est ainsi que la “sculpture” (sculpture entre guillemets) est devenue mon premier langage.
J’ai eu la chance d’être née à Nice dans cette ville magnifique entre mer et montagne, entre la France et l’Italie. Et, j’ai pu ainsi faire des courses en haute montagne, dans les Alpes Maritimes, au Parc du Mercantour. Je suis une grande amoureuse de la montagne. À cette époque, sur les chemins des randonnées, je réalisais des kerns avec tout ce que je trouvais sur place à 2000, 3000 mètres d’altitude voire plus. Je prenais alors des photos et laissais ces installations là où je les faisais. Lorsque j’ai préparé mon Mémoire de DEA en Arts Plastiques (Master II) à Paris I Panthéon-Sorbonne, je me suis interrogée sur le besoin que j’avais de ramener avec moi des pierres lors de mes randonnées. Je me suis demandée si j’aimais la montagne parce que j’aimais les pierres ou si j’aimais les pierres, par extension la sculpture, parce que j’aimais la montagne ?
Si l’art est votre langage, alors que dites vous ?
Je dis que la Vie est belle malgré les difficultés ! Toutes ces donnés sont en équilibre. Par moment tout va bien, par moment, tout va mal. C’est la Vie ! Les sculptures de 1986 à 1999 sont toutes réalisées en équilibre réel, c’est-à-dire que tous les éléments qui constituent la sculpture ne sont ni collés, ni soudés. Ils sont tous indépendants des uns des autres et sont tous inscrits dans une dépendance de lien pour exister. Autrement dit, ces sculptures sont toutes dans une stabilité instable ou dans une instabilité stable. Un spectateur peut intervenir volontairement ou non et faire tomber une sculpture en équilibre absolu. Si cela arrive, ce n’est pas grave. Je remets le plus vite possible, la sculpture en place et la sculpture revit !
Ce qui me fascine toujours au travers de votre pratique c’est justement ces équilibres réels et instables, que l’on retrouve beaucoup dans vos premiers travaux. Comment se passent les mises en place de vos oeuvres ?
Cela dépend des pièces. En 1992, j’ai réalisé des sculptures avec des oeufs crus. Je les plaçais entre des tubes d’acier ou les coinçais contre des murs. Tout tenait en équilibre réel, sans colle, sans truc. Pour arriver à faire toutes ces sculptures, j’ai dû casser dans mon atelier environ 450 oeufs ! (rires) C’était cocasse ! J’en ai tellement cassés qu’il a fallu que je recouvre le sol avec de la sciure de bois pour ne pas glisser ! J’ai également réalisé d’autres sculptures avec différentes huiles et le sol de l’atelier était aussi devenu une sorte de patinoire. En fait, en créant ces sculptures, j'étais moi même physiquement en équilibre (rires).
Arrivez vous facilement à remettre en place une sculpture ? Vous faites vous aider par des assistants lors de vos expositions ?
Lorsque je créais les sculptures en équilibre que j’appelle “réel ou absolu”, il me fallait beaucoup de temps, de patience et d’obstination à mettre en place un travail car rien n’était fixé. Et, pour reconstruire une de ces sculptures dans un lieu différent que celui de l’atelier, je devais retrouver une mémoire de gestes.
En 2001, lors de ma rétrospective au CCBB (Centro Cultural Banco do Brasil) à Rio de Janeiro, j’ai dû refuser un assistant du musée qui voulait m’aider pour réaliser une sculpture composée d’oeufs crus et de tubes d’acier. En effet, il était pétrifié à l’idée de faire tomber les oeufs. Je ne pouvais donc pas travailler avec lui. Je ressentais son angoisse et son manque de confiance pour atteindre l'équilibre de la sculpture. Cela me perturbe. La sculpture tient comme par magie. Et, si on n’y croit pas, cela ne tient pas ! Oui, pour mettre en place mes sculptures en équilibre réel, il faut d’abord être optimiste et apaisé ! (rires)
%2C%20(21)C%20by%20Brig.jpg)
C’est très méditatif en fait ?
Oui, tout à fait notamment lorsque je réalise mes sculptures en fil. La concentration pour ne pas rompre le dernier filament, la répétition du geste et la patience nécessaire me mettent dans un état serein, méditatif. J’adore cela ! C’est enivrant de sculpter le fil jusqu’à sa limite, enfin en ce qui me concerne (rires).
Je pense par exemple à la sculpture réalisée avec 14000 fils placés entre 2 murs de la Cristinerose Gallery à New York en 1997. En la faisant, j’étais rentrée comme dans une sorte de nirvana. C’est peut-être ma concentration absolue qui induit l’aspect méditatif.
Cette question du corps qui entre en relation avec la sculpture m’évoque la page d’accueil de votre site. C’est une photographie de vous dans l’une de vos sculptures, un autoportrait en miroir pris dans le reflet de l’acier inoxydable poli miroir. Vos oeuvres défient la physique de notre monde mais aussi aspirent les corps des spectateurs dans leurs bouleversements. Je pense à la série Walk notamment. Où cherchez vous à emporter le spectateur dans ces constants déséquilibres ?
J’aime beaucoup ce terme que vous employez: “emporter”. Il est si juste. Oui, j’aime emporter le spectateur dans un tourbillon de Vies. D’ailleurs, vous faites référence à une photographie où l’on me voit à coté d’une sculpture nommée justement “Rain Forest/Walz” où j’ai voulu entraîner les spectateurs dans une valse de Vies. J’aime que les spectateurs soient complètement happés par et dans la sculpture qui transforme visuellement leur corps. Finalement, mon travail est une “double signature”.
Je veux dire par là que je suis emportée dans mon travail tout comme les spectateurs le sont visuellement en espérant aussi mentalement. Ainsi, nous nous retrouvons tous ensemble dans le “même bateau” face aux équilibres instables de la vie (sourires).
Vous croyez que l’art nous emporte dans son tourbillon et nous déséquilibre ?
C’est d’abord la Vie qui nous emporte. Et comme la Vie et mon travail ne font qu’un, l’art nous emporte aussi. C’est ce à quoi j’aspire dans tous les cas.
Comme je l’ai dit précédemment, en 2000, j’avais réalisé des sculptures en acier et en billes transparentes qui avaient pour titre: “Le Tourbillon” et “Rain Forest/Walz”. Je voulais emporter les spectateurs dans la danse imagée de la sculpture.
Que veut dire être équilibré ou déséquilibré ? On est équilibré mentalement selon l’instant précis que l’on vit pour une courte ou pour une longue durée. L’instant est élastique selon ce que l’on expérimente, selon ce que nous pouvons accepter. C’est comme pour les sculptures en équilibre réel, lorsque la sculpture tombe, je, on la remet en place. La sculpture ne reste pas défaite. Il suffit de replacer ses éléments en équilibre. Je vais vous raconter une anecdote concernant ma première rétrospective qui était au Centre d’Art Contemporain, l’Abbaye Saint-André de Meymac en 1992. Lors du vernissage le maire du village n’a pas cru que mes sculptures réalisées en oeufs crus et en acier étaient véritablement en équilibre sans colle. Voulant le vérifier, le maire s’est empressé de toucher une de ces sculptures et bien-sûr, la pièce est tombée. Dans la panique, le maire recula aussitôt sans prendre soin qu’il y avait d’autres sculptures derrière lui et donc a fait tomber d’autres pièces en oeufs crus et en acier. C’était drôle, en tous les cas pour moi. Je riais alors que lui était si gêné. Très vite, je le rassurais en disant qu’il n’y avait aucun problème. Il suffisait de nettoyer le sol pour que je remette en place toutes les sculptures avec de nouveaux oeufs crus (rires). Et quelques instants après, les sculptures revenaient à la vie. Tout était en place ! Le maire retrouva son sourire !
Certains artistes seraient absolument catastrophés à l'idée qu’une telle chose se produise dans leur exposition. On voit d'ailleurs combien les dispositions muséales sont strictes à ce sujet. Mais finalement, vos pièces, elles, sont presque laissées à l’accidentel. Est ce que cela fait partie des enjeux de votre oeuvre ?
Oui, c’est comme la vie qui comporte des accidents… Comme je l’ai dit, je suis née à Nice. Lorsque j’avais 20 ans, je suis allée pour la première fois au Centre Georges Pompidou à Paris. J’avais tant envie de toucher les sculptures de Giacometti mais il y avait des panneaux interdisant de le faire et même de s’approcher. Cherchant à être le plus vrai possible, je me suis dit que l’on ne pourra pas toucher mes sculptures sous peine de les faire tomber et parfois même de les casser.
Oui, c’est tout à fait paradoxal. Puisque lorsqu’on touche vos oeuvres, elles se détruisent, les considérez vous comme éphémères ?
Ephémères ? Non, bien au contraire ! Elle ne peuvent pas être éphémères puisque lorsqu’elles tombent, elles sont reconstituées. D’autre part, lorsqu’une sculpture est acquise par un collectionneur, c’est lui qui remonte l’oeuvre dans son appartement. Je passe le relai de l’équilibre de la pièce. Il s’approprie ainsi la sculpture dans tous les sens possibles.
C’est incroyable car d’un seul coup, l’artiste devient une sorte de catalyseur entre l’art et le monde.
Oui, c’est un passeur.
L’art est il, pour vous, cet espace qui nous déboussole à l’image de vos oeuvres ?
Oui, j’essaie de procurer au spectateur une sorte de vertige. Je pense notamment aux oeuvres qui font voir le haut pour le bas et inversement. Comme par exemple, “Le Passage” sculpture créée pour les Champs-Elysées en 1999 lors de l’exposition les Champs de la Sculpture II. Sculpture d’eau contenue dans des bocaux transparents en polycarbonate empilés, posés les uns sur les autres en équilibre réel et comprimés dans de l’acier inox poli miroir. Tout ce qui était autour de la sculpture s’y reflétait à l’envers aussi bien les personnes que l’espace environnant. Visuellement, l’oeuvre ôtait toute notion de gravité. Le haut devenait le bas et réciproquement. J’aime changer les habitudes, les repères et donner à ressentir et à voir un nouvel ordre désordonné.
Il en va de même pour les sculptures réalisées en verre et en acier de la série “Teicpilrac Eilzao” de 1992. Le verre fragile supporte le lourd et dur acier. On est déboussolé de voir comment de simples pipettes de verre maintiennent de très lourds tubes d’acier de 3 mètres de long. La logique n’existe pas. Selon les individus, selon leurs cultures, selon leur lieu de vie, la logique change. À l'évidence, elle varie selon chaque être. La certitude aussi n’existe pas. Elle est passagère. C’est l’incertitude des choses qui perdure.
Et vos pièces mettent en exergue que ce que l’on perçoit n’est pas forcément la réalité, ni d’un point de vue physique, ni d’un point de vue logique !
Bien sûr, regardez la médecine. On le sait que trop bien que nous découvrons sans cesse de nouveaux virus et de nouvelles réponses. La pandémie de la COVID-19 nous amène à considérer au quotidien de nouvelles technologies, comme cette vidéo conférence que nous sommes en train de faire par Zoom.
À ce sujet, c’est une période extrêmement étrange pour tous, et pour les artistes en particulier. Pour la virtuose de l’équilibre que vous êtes, comme vivez vous le déséquilibre de notre monde aujourd’hui ?
Ayant habité dans différents pays, je me suis toujours mise en situation de déséquilibre. Savoir prendre des risques est pour moi un aptitude essentielle que l’artiste doit avoir. En 1994, je vivais à Paris, j’avais un super atelier à l’Hôpital Éphémère dans le XVIIIème. Je montrais mon travail dans 3 galeries : la Galerie Praz-Delavallade, la Galerie de marseille à Marseille et la Galerie Eric Dupont à Toulouse. Les institutions parisiennes et nationales s'intéressaient à mon travail. Bref, mon quotidien était bien rempli et varié. Mais, pour aller plus loin dans ma recherche artistique, je décidais d’aller vivre et de travailler à New York. Rêve d'adolescente, rêve de toujours. Je ne connaissais pas du tout cette ville et d’ailleurs je ne connaissais pas les Etats-Unis d’Amérique. Je me suis mise donc en danger par rapport à ma vie parisienne et suis partie à New York à l’aventure. Repartant à zéro, ne connaissant personne, ayant très peu d’argent il a fallu que je crée de nouvelles sculptures en utilisant de nouveaux matériaux. Je pense notamment au fil étiré. Je me souviens. Je n’avais rien. Je ramassais même les “cens” pour m’acheter des bagels...pas facile NYC lorsqu’on débarque sans amis et sans finance. Mais grâce à ces difficultés, j’ai pu penser au fil. Ligne de dessin par exemple qui m’ont et me permettent encore de faire des sculptures volumineuses.
Maintenant que je vis en Israël, c’est encore différent. Chaque seconde de vie en Israël peut être différente. On ne sait pas ce qui peut se passer en dehors des surprises de la vie que chacun de nous expérimente. Les Israéliens vivent le moment présent le mieux possible et le chérissent. Cette attitude face à la Vie colle à ma personnalité et c’est tant mieux (rires). La pandémie m’affecte peu. Enfin, cela dépend du moment. De toutes les manières, il y a eu un avant, il y a un pendant, il y aura donc, un après (sourires).

Plus je parle avec vous, plus je trouve que vous ressemblez à votre travail. Cet équilibre qui fait partie de vos oeuvres et de votre vie est merveilleusement positif. Pourtant, l’équilibre pourrait être perçu comme quelque chose de précaire, de désagréable, mais pas chez vous. Cette positivité donne un potentiel formidable à votre travail, comme si rien n’était impossible et qu’il n’y avait aucune limite à ce que vous pourriez faire.
Merci beaucoup pour cette remarque que je prends comme un immense compliment. Oui, vivre, travailler et partager la stabilité instable, l’instabilité stable de la Vie m’est essentielle. Catherine Francblin qui a souvent écrit sur mon travail a d’ailleurs intitulé un de ses textes : “L’art comme autobiographie”. C’était pour le catalogue de ma rétrospective au CCBB de Rio-de-Janeiro (Centro Cultural Banco do Brasil). C’est vrai, mon travail est une sorte de biographie. Tout est lié, ma vie, mon travail. Tout tient ensemble, rien est certain mais ça tient ! (rires)
Comment choisissez vous vos matériaux ? Je pense à votre affinité toute particulière avec le cristal de Baccarat. Est-ce une histoire de goût ? De potentiel ? De caractéristiques techniques ?
Pour être honnête, les matériaux me viennent les uns à la suite des autres, d’une manière naturelle, selon la taille de mon atelier, selon mes finances, selon mes ressentis.
Par exemple, je pense aux sculptures réalisées avec des plaques de verre de la série : “Lisbane Asraelni” de 1990. À cette époque, j’avais un immense atelier à “l’Hôpital Éphémère”, lieu extraordinaire créé et dirigé par Caroline Andrieux et Christophe Pasquet les fondateurs des “Usines Éphémères”. Il y avait toute sorte d’artistes : des sculpteurs, des peintres, des designers, des créateurs de mode, des danseurs, des musiciens, des photographes, des acteurs, des troubadours. C’était un véritable Paradis ! Nous étions tous ensemble dans ce lieu qui auparavant s'appelait “l’Hôpital Bretonneau” pour enfants construit au XIXème siècle. “L'Hôpital Éphémère” n’était pas un squat car le principe des Usines Éphémères était d'avoir un accord officiel pour occuper des lieux en attente de leur démolition. C’est dans cet espace que j’ai récupéré les plaques de verre qui traînaient dans l’Hôpital. Et c’est ainsi que j’ai pu faire mes sculptures de verre et d’acier. Les matériaux coûtent chers. Il faut se débrouiller et cela dès le début de mon travail d’artiste.
En 1987, j’allais sur les chantiers, me liais d’amitié avec les ouvriers qui très gentiment me donnaient des matériaux, des chutes de fil de fer et de PVC. J’ai pu créer la série “Keremein” exposée aux Usines Éphémères du XXème arrondissement.
En ce qui concerne les sculptures avec le cristal de Baccarat, j’ai demandé un mécénat à la manufacture. Ce n’était pas facile de l’obtenir car en plus en 1991, le mécénat d'art n'était pas chose commune… Mais, bon j’ai pu réaliser une grande installation en extérieur pour le musée Carnavalet. J’ai voulu montrer la préciosité et la simplicité de l’acier corten qui rouille par essence. Je voulais montrer ce paradoxe de beauté entre la préciosité et le côté “rough” de la rouille.
Quant aux cristal de Baccarat totalement translucide, je l’ai utilisé après avoir vécu ma première tempête de neige et de vent à New York. Les flocons avec le vent étaient pratiquement à l’horizontal. Je n'oublierai jamais ces gouttes d’eau figées qui volaient aussi parfois en tourbillonnant. Que c’est beau l’hiver à New York !
D’où vous est venue cette nécessité de confronter des matériaux si différents ?
La confrontation est souvent issue de deux antagonistes. Comme je l’ai dit précédemment, j’aime unir les paradoxes de la Vie car tout est possible même ce que l’on croit inconcevable. Bref, parce que j’aime la Vie ! (rires) Quand on aime la vie on aime tout ! J’adore tous les matériaux et je veux honorer la matière.
Récemment, il n’y a pas de différence de matériaux. Je pense aux sculptures de la série “Gleaming Freedom” réalisées en acier inox poli miroir et en titanium gold poli miroir. C’est la différence de couleurs, argentée et dorée, qui propose une contradiction alors même que les matières sont plus ou moins les mêmes.
La manière dont vous parlez de votre travail met sans cesse en avant l’importance absolue des matériaux. D’ailleurs sur votre site, vos oeuvres sont référencées par matériaux. Acier, Bois, fer, etc… Votre travail révèle complètement de la plastique. Prendre une matière et créer des formes avec, à la manière d’un Prométhée moderne.
C'est tout à fait juste. Le matériau me vient en premier. Il m’inspire une idée et me donne la forme de la sculpture. Par exemple, la série “Henome Ryna” de 1993, composée d’un cube en verre translucide contenant de l’eau claire à ras bord et d’un un cube aux mêmes dimensions, en marbre blanc de Thassos. La caractéristique de cette pierre est qu’elle n’a aucune veine et qu’elle peut être parfaitement polie donnant une surface brillante. Mon intention était de comprimer visuellement deux liquides essentiel à la Vie: l’eau et le lait.
Sur votre site, vos oeuvres sont titrées. Mais quand vous en parlez, vous ne les employez jamais. A la place vous décrivez les matériaux qui les constituent. Comme si les titres étaient accessoires.
Tout à fait. De 1985 à 1999 je donnais des titres parfois imprononçables pour les personnes qui le lisaient la première fois.En fait, je considérais que le titre était une fiche descriptive de la série de sculpture. Je m’explique.
Le nom composé de deux mots était l’anagramme du nom d’une personne qui m'était chère. C’était pour lui témoigner l’importance qu’elle avait ou a encore dans ma vie donc dans ma création. Seule la personne en question savait qu’il s’agissait d’elle. C’était une dédicace secrète et magique comme est le lien mystérieux des éléments qui constitue mon travail ou encore celui des relations humaines. Je n’ai jamais divulgué les noms car c’est de l’ordre de l’intime.
Ensuite à la droite de l'anagramme, j’ajoutais une lettre majuscule en rapport avec l'année (1985 étant la lettre “A” etc. ). J’y ajoutais un code numérique de matériaux et un code numérique de formes. Et, quant à la dernière lettre du titre, c’était pour différencier les sculptures qui avaient les mêmes caractéristiques de matériaux et de formes. Tout cela suivait scrupuleusement un code que j’ai établi dès 1985. Comme par exemple, la série de sculptures: ”Icholi Hauperyre L(10), (21)C”.
Lorsque j’ai réalisé la sculpture sur les champs Elysées “Le Passage”, je me suis dit qu’il était temps au XXIème siècle de changer le système des titres et de nommer simplement les sculptures. On évolue (rires) !

Votre travail est en fait un concentré de vie, de paradoxes, de confrontations… C’est une véritable ode à la vie, qui ne se perçoit pas toujours au vu des matériaux puissants, bruts que vous utilisez. Je suis agréablement surprise de voir avec quelle légèreté vous nous proposez votre vision du monde. C’est une vraie célébration que votre travail. Je m’interroge sur la manière dont ces célébrations se mettent en place et s’inventent. Comment travaillez vous ?
En ce qui concerne mes sculptures en “équilibres réels” ou “équilibres arrêtés”, sans aucune fixation, je travaillais par intuition. Je veux dire par là que je prenais des matériaux et “hop” expérimenter tous les possibles. Toutes mes sculptures étaient réalisées sans colle, sans fixation, sans truc. Je décidais que telle sculpture tiendrait malgré l'incongruité de ses éléments mis ensemble. D’ailleurs même pour les grandes pièces, je commençais la réalisation des maquettes par intuition voire par obstination.
Je pense par exemple à ma première sculpture réalisée en cristal de Baccarat, exposée dans le Marais en 1991, lors d'une exposition de groupe intitulée “Parcours privés”. J’avais décidé que la lourde plaque d’acier corten de 1 tonne tiendrait sur 1 tiers en équilibre absolu sur un tube d’acier de section rectangulaire. Et comme elle était placée temporairement en extérieur, il a fallu que je contacte des ingénieurs spécialisés dans l’acier. Lorsque j’ai présenté mes dessins et ma maquette, il m’avaient dit que j’était complètement folle, que jamais cela pouvait tenir. Après leurs calculs, ils ont finalement confirmé que j’avais raison et que ma méthode permettait à l’oeuvre de tenir. L’intuition d’artiste peut donner des choses incroyables. Concernant les sculptures actuelles, je dessine beaucoup et fais de nombreuses maquettes qui peuvent être en papier mâché, en acier.
Vous travaillez donc beaucoup en collaboration si je comprends bien. Est-ce fondamental que ce travail se réalise en commun ? Si vous pouviez travailler entièrement seule, est ce que vous le feriez ?
Oui et non (rires). Car j’aime aussi bien la solitude de l’atelier que le travail d’ équipe en usine pour réaliser les sculptures monumentales.
Comment êtes vous en vernissage ?
Je parle beaucoup et déambule aussi bien dans les salles que dans la ville où j’expose.
Je réponds à toutes les questions avec le plus d’authenticité. Avoir une interaction avec les spectateurs, entendre leurs commentaires me permet aussi de voir différemment ma sculpture et donc d’aller encore plus loin dans ma recherche. Il m’importe de lier les Vies croisées, d’échanger et d’apprendre avec toutes sortes de personnes.
Par exemple, lors du vernissage à la Ysebaert Gallery, en Belgique, une collectionneuse m'avait dit que mes sculptures de la série “Gleaming Freedom” suscitaient la tendresse. J’ai trouvé cette remarque intéressante. Découvrir mon travail autrement grâce aux Autres est une grande bénédiction !
Voilà, vous savez presque “tout” (rires).
Dialogue conduit par Luci Garcia