
Amélie Lemonnier | Décembre 2021
Rituel du soir
Coton démaquillant usagé, fil de coton
Le Projet Rituel du soir est un mouvement du dedans vers le dehors. Chaque coton démaquillant usagé est le réceptacle des énergies captées par la peau du visage pour une journée écoulée. Les particules de peaux mortes et autres résidus organiques ou non s’y déposent et révèlent la trace d’une unité temporelle remplie d’instants impalpables et révolus. Le coton usagé est un fragment de mémoire sur lequel ma méditation vient s’appesantir et apporter une consistance nouvelle.
La technique du crochet ainsi que la forme du napperon est un héritage de nos aïeules. Je l’ai toujours considéré comme un mandala. Il me semble que cet objet a toujours eu une vocation spirituelle. Crocheter pourrait être perçu comme un passe-temps, un loisir, mais cela me semble plus profond que ça. Dans ma réappropriation de ces ouvrages, la forme finale du rituel, à la différence des napperons traditionnels, n’est pas anticipée : elle se déploie spontanément au fur et à mesure.
Intervenir plastiquement autour d’un objet considéré comme un déchet est une interaction émotionnelle matérialisée avec cet objet, d'ailleurs je travaille souvent de cette façon. Je rentre en communication avec quelque chose qui me semble vivant, qui me raconte une histoire même si cette chose paraît inanimée au premier abord.
Crocheter mes cotons démaquillants m’est apparu comme une évidence, la beauté de cette tâche de couleur étalée, écrasée sur la fibre dégageait une mélancolie qui me touchait. Travailler sur ses propres énergies a été facile et fluide, mais je voulais aller au-delà et partir à la rencontre de l’autre.
Afin de partager cette démarche, j’ai proposé aux visiteurs de l’exposition de me déposer leurs propres cotons démaquillants. Ils accompagnaient leur don selon leur désir, soit d’un poème, un récit, un dessin ou rien. La démarche m’est apparue sous un jour nouveau. En effet, travailler autour d’un fragment d’intimité d’une personne que l’on connaît à peine peut-être déstabilisant. C’est un nouveau monde qui s’ouvre et qu’il convient de respecter. Les émotions de ces cotons ne sont pas miennes mais elles me traversent pour finalement se déposer sur le fil.
Amélie Lemonnier, Décembre 2021

Le fil se tisse et s'accroît comme la trame d’un récit imaginaire autour d’un coton démaquillant souillé. De cette trace que d’aucuns considèreraient comme un déchet, Amélie Lemonnier fait émaner les réminiscences subtilement colorées d’histoires individuelles, intimes.
Autour de ces cotons - les siens et ceux qu’elle récolte par le biais de dons - traversés par le fil de la même matière, se développe l’ouvrage sensible que l’artiste crochette aléatoirement. La pièce qui apparaît sous ses doigts habiles, entre dentelle et culture de micro-organismes, semble suspendue dans une temporalité à part, dans un état d’inachèvement instable ; comme prête à évoluer d'elle-même.
Amélie Lemonnier nous invite dans la douceur d’un moment à part qui touche presque au sacré des ablutions : le démaquillage. Le masque tombe le soir selon un rituel affirmé par l’artiste, laissant libre court à la pensée qui germine comme le fil tisse l’histoire d’une journée. N’est-ce pas fascinant, les similitudes lexicales qui unissent le texte et le fil ? La trame narrative, le fil de l’histoire… A l’image d’une Pénélope moderne, Amélie Lemonnier joue avec des techniques ancestrales qui dressent le fil de récits immémoriaux et le plient à une existence au sein d’un ouvrage en deux dimensions. Le temps (et donc, la vie) ainsi manipulé par l'artiste/Moire, s’offre à la vision du spectateur comme une expérience figée, une ouverture totale, disséquée, sur l’intimité d’un rite purifiant et quotidien.
Luci Garcia