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Lélia Demoisy | Décembre 2022

Laissés sur la rive, 2022

Os et branches en plâtre, voilages de lin.

Installation réalisée dans le cadre de l'exposition Entre les deux rives de l'Île Fleurie au centre d'art La Terrasse à Nanterre

L’île fleurie, comme toutes les îles, est un mélange de ce qui est venu à dessein et de ce qui s’est échoué là. Les plantes naufragées se sont appropriées les lieux avec acharnement, croisant leurs racines avec la rouille, s’accrochant aux gravas de béton comme sur du granit. Elles grignotent tous les espaces possibles où la pluie tombe. Elles se gavent d’air et d’eau, assemblent leurs molécules et érigent des tours vers le ciel que l’on appelle Aulne glutineux ou Peuplier tremble. Des amas de cellules vivantes s’empilent sur des cellules mortes, sur des corps devenus charpentes, devenus os. Cicatrisant comme le ferait une peau, ces cellules pansent leurs blessures et emplissent l’espace de leur chair froide.
Mais le Frêne qui a été pris au collet par la Chalarose, lui, s’est effondré. Ramassé par la crue, ce corps de géant rencontre le corps du chevreuil qui s’est noyé et la branche du saule qui s’est cassée. Ballotées par les eaux, ces charpentes de corps ricochent d’île en île pour se faire laver. Ainsi blanchis, les os débarrassés de leurs chairs s’échouent sur une dernière île pour finir de la bâtir. Un nouveau socle de cellules mortes pour de futures cellules vivantes apparait ici comme sur toutes les îles du monde.

 

Ainsi vit l’île fleurie au milieu de la Seine en face de Nanterre.

Il faut imaginer le bruit de l’eau qui gronde, les bulles de l’écume qui éclatent, le son sourd d’un liquide qui bouche les oreilles et qui oblige à fermer les yeux très fort. Le fleuve forme un tunnel qui emporte tout dans une course effrénée, infinie. Lélia Demoisy entraîne son spectateur dans le tumulte des flots de la Seine, dans son courant, dans sa violence créatrice et révèle l’amoncellement, sur les rives d’une langue de terre émergée du fleuve, de matériaux à la jonction de provenances multiples. Dans cette installation, intitulée Laissés sur la rive, l’île se fait à l’image de l’artiste dont la pratique se veut l’alliance entre l’art et la nature, entre ce qui naît et ce qui meurt. Ilôt stigmatisé par chaque dépôt sur son flanc, chaque débris de chair, de béton, charriés par le fleuve qui échouent et terminent leur cycle sur ses rives.

S’amassent ainsi, dans la géologie même de l’île, ossements, bois, résidus de friches industrielles, détritus, plantes poussées sur ce limon surnaturel, racines…

De ce mélange, Lélia Demoisy extrait des fragments variés pour composer la symphonie d’une vie qui se suffit à elle-même, qui croît sans rien demander à personne, puisant dans les résidus de nos civilisations et que l’art a pour mission de révéler. Toutes les îles sont des îles fleuries, cela traduit à la fois notre impact sur la Nature, mais aussi la capacité de celle-ci à s’adapter à nos agressions, à négocier le malgré tout. Les îles fleuries, ce sont ces fleurs de béton poussées entre deux pavés, ce sont ces racines qui attrapent les nutriments cachés sous l’asphalte, un cloporte, éclos on ne sait où dans un sol trempé. Laissés sur la rive, de Lélia Demoisy met l’accent sur tous ces cycles qui entrent en collision les uns dans les autres, à l’image des débris transportés par la Seine sur les rives de l’île Fleurie, celle en face de Nanterre parmi toutes les autres, comme un big bang d’eau, de boue, de goudron, d’écorce qui crée, crée, crée sans fin. 

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Ainsi, de ce fracas, l’artiste choisit de présenter les restes, d’offrir un parcour entre apparition et disparition à son spectateur. Ce dernier cherche ce qui se distingue dans cet amoncellement de moulages à la blancheur du plâtre, et dont les formes, conjointes dans une mortelle similitude, se mélangent en un inextricable agrégat fossilisé de branches et d’os. Ces monticules semblent reconstituer les rives d’un lit imaginaire sur les bords duquel ils se seraient échoués. Un voilage, (il faudrait dire un linceul) de lin fini de plonger, au sens propre, le spectateur dans cet espace immersif. Immergé dans la Seine durant 5 jours, un peu comme on accomplit un rituel inconnu, il termine de ceindre ces formes minéralisées par son odeur et par les couleurs qu’il a héritées du fleuve. Lélia Demoisy propose de porter attention, au détour de la transparence, aux détails des agglomérats transmis par le cours d’eau. C’est un jeu de regard, la graine d’une préoccupation. Si on prend le temps de regarder, de cheminer, qu’est-ce qui peut se révéler à nous ?

Luci Garcia

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