
Émilie Pria | Décembre 2020
TOWELS FOR FONTAINE, 2020
Ou la performance réalisée à l’insu de ses participants, même
Impressions sur serviettes, 58x99cm
Je voulais parler de la sexualité des femmes fontaines, alors j’ai pensé ces serviettes comme un double support de l’éjaculation féminine : le support matériel et le corps de l’homme. Il était important pour moi d’érotiser le corps masculin, et d’injecter ces images dans l’imaginaire collectif. Je voulais prendre en charge ma place de sujet dans le désir. J’ai aussi voulu dépersonnaliser ces corps, pour créer un sentiment d’anonymat qui émane d’eux et les rendre les plus universels possibles.
J’ai voulu intégrer un clin d’œil à Brigitte Fontaine dans la formulation du titre, je me plaisais à penser les faire pour elle. Enfin, le sous-titre est une référence évidente au Grand Verre de Marcel Duchamp, à son humour, mais c’est aussi une projection au moment du vernissage de l’exposition, autant qu’une projection d’une possible utilisation de ces serviettes.
Émilie Pria




Un ensemble de quatre serviettes de bain exhibent des corps nus masculins. Un objet du commun élevé au rang d’œuvre d’art par sa simple mise en exposition : une telle description rappelle le principe du ready made de Marcel Duchamp. Le ton humoristique de cette installation, qui s’apparente au coming out d’une femme fontaine, n’est pas non plus sans évoquer l’univers absurde et potache du milieu dadaïste. Plus qu’un simple pied de nez comique, le sous-titre « Performance réalisée à l’insu de ses participants, même », qui sous-entend que l’œuvre fut exécutée sans que les hommes représentés n’en connaissent toutes les modalités, fait clairement référence au Grand Verre (1915-1923). Mais si cette machine célibataire inventée par Marcel Duchamp suggérait une reproduction mécanique de l’accouplement humain et assimilait l’anatomie féminine à un engin fait de pistons et de vapeurs, les Towels for Fontaine proposent une vision légèrement différente de la sexualité. Si elles en reprennent l’idée de mécanique du plaisir, qui était aussi présente dans l’œuvre de celui qui avait signé « Richard Mutt » son urinoir renversé appelé Fontaine (1917), elles s’intéressent néanmoins davantage au désir féminin. En se plaçant au cœur de l’intime et du quotidien, ces serviettes invitent à une déconstruction du male gaze, notion féministe théorisée par Laura Mulvey en 1975, désignant un regard masculin hétérosexuel. Bien qu’en adoptant ses codes par la fragmentation et l’objectification anatomique, qui tend à la déshumanisation du sujet, elles offrent toutefois un contrepoint, en choisissant comme objet des corps masculins érotiques et sensuels. Et c’est ainsi qu’elles se conçoivent comme des œuvres performatives, servant aussi bien un rapport sexuel à deux, utile pour une femme fontaine, qu’une pratique anoniste. Histoire d’allier l’utile à l’agréable.
Franny Tachon

