Fabien Yvon
Fragments
HALTE

Fragments, c'est le titre éloquent de l'exposition de Fabien Yvon. Eloquent parce que ses œuvres sont les tranches d'un imaginaire qui se découvre d'une façon différente à chaque feuille. Le grain du graphite, dans un poudroiement balayé, côtoie sur les murs de la galerie Waltman les eaux fortes taillées dans le cuivre et le mouvement fantomatique d'empreintes de corps. Acide, chair, graphite, acrylique, encre. Taille, crayonnage, creusage, morsure...
Le travail de Fabien Yvon est élémentaire, brut. Le vent semble balayer les paysages intérieurs, les eaux fortes représentent des roches arrachées au cuivre à grand coup d'acide, et la toile se fait la pellicule révélatrice, membrane éclatante de lumière de corps devenus œuvre ; matière contre matière.
Cette exposition propose une découpe aiguisée, à la pointe de la mine (sèche, graphite...), sur un imaginaire surprenant - pour nous, mais aussi pour l'artiste.- Chaque oeuvre est une révélation qui invite à l'observation. En regardant ce que l'artiste nous montre de son intériorité, nous sommes libres de plonger dans la notre ; un voyage que seul l'art propose.
Luci Garcia

Quel a été le point de départ de cette idée d'exposition en collaboration avec la galerie Waltman ?
La Galerie Olivier Waltman présente mes dessins depuis un peu plus de deux ans à différents événements. Dans des expositions collectives dans l’espace de la galerie ou pendant des salons. L’envie de faire cohabiter les différents médiums de ma pratique a fait naître ce projet d’exposition personnelle.
Cette exposition propose de mettre en commun différentes strates de votre travail en présentant à la fois vos dessins, vos peintures et vos gravures.
Est-ce la première fois que vous opérez ce type de rassemblement au sein d'une même exposition ?
Il m’a déjà été possible de montrer pour un événement deux médiums à la fois, comme mes dessins et peintures. Mais dans des espaces où, finalement, ils ne pouvaient pas dialoguer. L’espace de la galerie permettra cela.
Pourquoi la nécessité de ces différents médiums dans votre pratique ?
L’envie me guide à choisir ce que j’ai envie de faire. Le choix est intuitif, je ne conçois pas les mêmes images en dessin, en peinture, ou en gravure. Ces différents médiums me sont complémentaires, ils me permettent de questionner leurs approches au regard des autres.

et l'accrochage de vos œuvres ? S'agit-il d'une collaboration ou avez-vous au contraire laissé le champ libre au commissaire ?
L’accrochage des œuvres est un aspect du travail qui me concerne autant que la galerie, pour des raisons qui se rejoignent, et divergent à des moments. J’aime travailler avec la Galerie Olivier Waltman. L’équipe prend soin de mon travail et tient compte de mon point de vue. Je leur fais entièrement confiance, et pour cet événement, l’accrochage a été réalisé par la Galerie.
Je sais que votre travail relève de ce que nous pourrions appeler une plongée intérieure. Je parle évidemment des paysages intérieurs, mais également des empreintes acryliques et encre de chine, fruit de la collaboration entre la marque de l'intimité de votre couple et votre expression plastique. Cette exploration d'un intime intuitif vers un résultat artistique relève presque d'une vraie mise à nu… comment espérez vous que vos œuvres dialoguent avec le spectateur ?
Lorsque je conçois une image, je n’espère pas quelque chose de précis. L’envie et le besoin de créer passent avant le résultat.
Il y a toujours une marge d’incertitude, dûe aux décisions prises au fur et à mesure lorsque je dessine, ou liées aux résultats de la chimie des matériaux que j’utilise lorsque je travaille de manière plus spontanée avec la peinture et l’encre de chine. La gravure, elle, se retrouve entre ces deux approches. Je m'ennuierai de savoir où l’image me mènerait, j’aime chercher une image en la composant.
La rencontre avec le spectateur est elle importante pour vous ou préférez-vous laisser parler vos œuvres d'elles même ?
La rencontre fait partie de l’histoire, quand elle s’y prête. C’est un moment intéressant pour prendre du recul, et prendre le temps de tenter de mettre des mots sur ce qui est visible et ce qui ne l’est pas dans la pratique artistique.
Écouter et emprunter les mots des autres aide parfois à découvrir des aspects, des directions prisent sans s’en rendre compte. Ce sont souvent des moments riches, qui ne sont pas toujours évident. Si l’on considère que chaque œuvre réalisée est une partie de l’artiste, alors la rencontre permet à ce dernier de regarder quelqu’un regarder une partie de soi. Un peu étrange comme position, c’est probablement une des raisons pour lesquelles les rencontres sont souvent exténuantes.
Vous dites que le va-et-vient entre les différents médiums est essentiel pour vous. Vous voguez donc de la peinture au dessin en passant par la gravure. Je sais que vos dessins, par exemple, représentent parfois des 100aines d'heures de travail. Je m'interroge : travaillez-vous simultanément sur des œuvres aux médiums différents ou l'exposition propose-t-elle au contraire de regarder des travaux issus de différentes temporalités ?
Effectivement, l’exposition propose de poser un regard sur différentes temporalités de mes recherches. Je pratique le dessin avec une assez grande régularité depuis des années. Et de temps en temps, j’ai la nécessité d’arrêter de dessiner plusieurs semaines, ou mois au profit d’un autre projet. Cependant, il existe des moments où je mène un projet de gravure en parallèle au dessin. Les eaux-fortes requièrent des temps de séchage, ou de morsures, pendant lesquels je peux dessiner.

La question de la monstration est toujours un véritable travail, au-delà de la production de l'œuvre. Comment réfléchissez vous à la mise en espace de vos œuvres, y réfléchissez vous, d'ailleurs ?
La question de la mise en espace est parfois le déclencheur d’une série, et peut tout à fait être réfléchie une fois l’œuvre ou la série créée. Ce paramètre est important, car la manière de présenter une ou des images fait partie de leur existence. Un même dessin présenté dans un carton enveloppé dans une feuille de soie ou derrière le verre d’un cadre ne suscitera pas la même approche. L’image sera la même, mais pas l’objet.
Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez en ce moment ?
Je n’aime pas parler des choses qui n'existent pas, je ne sais jamais vraiment dans quoi je m’embarque tant qu’un projet n’est pas réalisé. Je préfère ne pas m’avancer pour ne pas me décevoir, probablement. C’est aussi, sans doute, une manière de garder une plus grande liberté.
Les projets demandent du temps, mais pas uniquement du temps de création que l’on peut essayer d’estimer. Les rencontres, le contexte, les envies, les priorités, et d’autres paramètres périphériques à la création d’une œuvre font qu’elle se fait maintenant, plus tard, ou pas.
L’envie de la série Empreintes précède sa création de 7 ans. Au moment où je l’ai faite, c’était devenu ma priorité absolue. Les dessins, eux, souvent se voient apparaître des jours ou semaines après leur envie. Chaque dessin fait naître de nouvelles envies. Il y a quelques années, je les notais pour ne pas les oublier, pensant pouvoir les réaliser plus tard. Puis finalement, le temps passe et il me faut faire des choix. Je fais celui de faire ce que je veux au moment où je le fais, c’est plus simple.
L'exposition Fragments se tiendra à la galerie Olivier Waltman
74, rue Mazarine | Paris 6e
du 01/04/23 au 29/04/23