
Lumière sur la Fondation Fiminco
La fondation Fiminco a investi les locaux d’une ancienne usine de production pharmaceutique il y a de cela trois ans. L’espace a été inauguré en 2019. Depuis, ont poussé du sol de nombreux locaux annexes, notamment les réserves du FRAC Île de France. C’est dans ce gigantesque espace que nous nous sommes rendus cet été, à la découverte de ce quartier culturel émergent de Romainville. On passe plusieurs heures à la Fondation Fiminco. Les expositions sont nombreuses, variées. On y rencontre des gens motivés par le contact avec l’art contemporain. On discute, on crée, on contemple. L'architecture de cette ancienne friche industrielle, aujourd’hui entièrement rénovée, plonge le visiteur dans un labyrinthe d’art et de briques rouges aux allures de cathédrale.
Les discussions que vous allez lire se veulent elles aussi le lieu d’une rencontre entre Forme(s) et Fiminco, rencontre motivée par une volonté commune de connexion, de mise en commun des différents acteurs de l’art. La fertilité de ces échanges est surprenante, l’enthousiasme, le rêve et les envies d’avenir en font partie intégrante.
Rencontre avec Joachim Pflieger, Directeur Général de la Fondation, Vincent Sator, Galeriste sur le site de Komunuma, ainsi que Kubra Khademi et Thomas Garnier, artistes en résidence.
Luci Garcia


DIALOGUE AVEC JOACHIM PFLIEGER
La fondation Fiminco repose sur une philosophie ouverte et didactique où prime l’importance d’amener de nouveaux regards sur l’art contemporain et le spectacle vivant. Ainsi que d’en faciliter l’accès pour tous les publics du territoire.
Tout à fait. C’est un projet que nous portons depuis quatre ans maintenant, et pour lequel il a fallu se battre. Se battre pour convaincre d’abord. Convaincre les galeries et le FRAC (Fond régional d’Art Contemporain, ndlr) de s’installer dans nos structures. Des structures que l’on a choisi d’implanter en Seine-Saint-Denis, afin de montrer que nous pouvions faire de ce territoire encore trop décrié un lieu propice au rêve et à la possibilité de travailler avec des artistes. Maintenant, pour notre équipe tout ne fait que commencer. Malgré les confinements et autres mesures sanitaires que nous avons subi durant cette année 2020, le démarrage du site de Romainville n’en a pas moins été couronné de succès. Et nous a permis notamment d’ouvrir nombre de portes sur des projets futurs.
Nous avons justement discuté de l’impact de la crise sanitaire avec des membres de la galerie Sator à la fondation. Celles-ci m’avaient dit que la crise était plutôt bien gérée, et qu’un public nombreux et enthousiaste venait malgré tout.
Totalement. Et l’arrivée de la Parsons School of Design depuis la rentrée de septembre a aussi beaucoup aidé en amenant quelque chose de différent. Nous avons fait une petite enquête de satisfaction pour notre première exposition intitulée Negociating Borders qui s’est déroulée du 12 septembre au 29 octobre dernier. Pour un total estimé entre 5000 et 6000 visiteurs, ce qui est beaucoup pour une première exposition sur une période courte, 47% d’entre eux venaient de Seine-Saint-Denis. C’est très réjouissant pour la suite, car cela montre que les canaux de communication sont passés bien au-delà des canons disons « traditionnels » des galeries qui ont l’habitude - et c’est normal - d’attirer un public plutôt parisien, plus chevronné et plus accoutumé à ce genre d’évènements. Là, au contraire, nous avons pu déjà davantage toucher les familles ; des enfants et des adultes qui viennent de l’ensemble du département. C’est on ne peut plus satisfaisant car c’est bien là l’enjeu numéro un de ce projet.
Et ce n’est surement qu’un début, car on peut imaginer des partenariats avec des écoles, et d’autres institutions susceptibles d’amener un public moins habitué à ce genre d’espaces.
Oui, nous avons même déjà réalisé ce type de partenariat avec le département qui s’est intéressé de suite au projet. Nous avons d'ailleurs signé une convention avec eux, justement, afin que nous puissions envoyer des artistes en résidence en atelier dans les classes et, qu’en contrepartie, nous puissions accueillir des collégiennes et collégiens dans les expositions, voire dans les ateliers présents à la fondation. Et deuxièmement, nous collaborons aussi avec des associations locales comme L’Art en partage, qui fait un travail formidable pour intéresser les adolescents de Romainville à tenter de franchir les portes d’institutions artistiques et culturelles dans tout le Grand Paris.
"Une participation des différents artistes à l’élaboration d’une expression artistique, mais aussi une manière de lier leurs différents destins afin que naissent des formes nouvelles."
Aujourd’hui directeur général de la fondation Fiminco, vous êtes vous-même issu du monde du spectacle vivant (programmation de la scène musicale, théâtrale etc). Qu’est-ce qui vous a amené à cette volonté de projet autour de la connexité entre les différents arts ?
Mon parcours est vraiment hybride. En ce sens qu’il y a bien une partie reliée à l’ensemble du spectacle vivant, mais également dans le champ des art plastiques. Chez Thaddaeus Ropac dans les galeries de Paris et de Pantin notamment où j’ai travaillé pendant près de cinq ans. Je me suis aussi occupé de quelques autres expositions, avec Bob Wilson par exemple, et son exposition en lien avec la danse. J’ai toujours beaucoup cru à la circulation des publics ainsi qu'au caractère poreux des formes artistiques qui leur permet à elles aussi de circuler énormément. Je constate aussi que, grâce à l’enseignement, lorsqu’on voit les artistes d'aujourd’hui, il y a une place importante laissée à ces passerelles. Des liens qu’entretiennent la vidéo et les art plastiques par exemple; mais aussi la photo, la danse, l’idée de mouvement. Et c’est finalement ce que nous essayons de faire à la fondation ; créer ces circulations, et parfois ces analogies, qui sont très variées et magnifiques. Pour citer quelques exemples nous avons Khubra Khademi, qui est une artiste d’origine afghane, très grande dessinatrice et qui travaille beaucoup sur la notion de la performance dans l’espace public ; Thomas Garnier, artiste travaillant énormément les liens entre la machine, la technologie et l’image photographique ou vidéo ; ou encore Anna Tomaszewski dont les oeuvres tournent autour de questions anthropiques et de nos rapports à la nature ; et plein d’autres encore. Il est certain que pour ce projet je viens puiser dans ce qui a constitué cet espèce de microcosme, qu’a été ma carrière auparavant, et qu’a été ma chance aussi, fait de mises en relations toujours étroites entre les différents médiums artistiques et leurs techniques propres. Lorsque j’étais à l’opéra national de Paris par exemple, Gérard Mortier, qui en était le directeur, invitait sans cesse des artistes plasticiens ou des professionnels du théâtre à s’emparer de cette autre forme qu’est l’opéra pour en faire quelque chose d’autre, voire une oeuvre d’art total. Cela m’a beaucoup inspiré. En fait je crois que c’est l’idée de se replacer dans un grand courant de pensée qui a traversé le XXème siècle, et qui résonne encore fortement jusqu’à nous aujourd’hui ; celui qui aborde cette question de porosité entre les arts comme s’en revendiquait le Black Mountain College aux Etats-Unis. Une participation des différents artistes à l’élaboration d’une expression artistique, mais aussi une manière de lier leurs différents destins afin que naissent des formes nouvelles. Autant de tentatives pour accueillir le public à l’occasion d’évènements pluriels, dynamiques et nouveaux. Comme un laboratoire à ciel ouvert si l’on veut. Un laboratoire constitué de différents ateliers pour que chaque artiste puisse complètement s’épanouir. Et pour offrir au public des expériences abouties où les genres et formes artistiques se trouveraient décloisonnées de leur carcan habituel. C’est toute l’ambition que nous nous sommes donnés avec un tel projet. Par exemple, lors de l’exposition coréenne, nous avons essayé de faire plusieurs de ces tentatives. En proposant à des jeunes danseurs de la banlieue lyonnaise d’intervenir au sein de l’exposition ; ou bien aussi, par ailleurs, à un trompettiste de s’en emparer. Tout cela pour voir comment ces corps en mouvement, ou cette trompette, allaient résonner dans l’espace et s’accorder avec les autres dimensions esthétiques déjà présentes dans l’exposition afin d’en créer une toute nouvelle. Je crois beaucoup en cela.


Il s’agit en fait d’un quartier à part entière. Avec ses gens qui y vivent, son école, un restaurant etc. Pourrait-on finalement parler d’une transposition du quartier à un véritable agrégat artistique en devenir ?
Oui. Je tiens à la notion de « quartier culturel ». Il y en a trop peu dans notre pays, tandis que c’est une démarche très répandue dans d’autres endroits du globe, les pays anglo-saxons notamment. On cite souvent pour l’exemple le quartier des spectacles à Montréal ; mais la Spinnerei de Leipzig, ancien quartier industriel lié à la filature du coton, et aujourd’hui réinvesti par des artisans d’art, des galeristes et des designers propose la même approche. Des lieux qui sont devenus de véritables catalyseurs territoriaux d’un point de vue artistique et culturel. C’est quelque chose qui m’a beaucoup intéressé en genèse du projet en 2016. Nous avions étudié plusieurs de ces quartiers pour en comprendre à la fois la structure et les enjeux. Notamment dans une ville très populaire en banlieue de Barcelone: L’Hospitalet, regroupant d’anciennes usines désaffectées et reconverties petit à petit en espaces culturels (bibliothèque, espace street art, expositions etc). C’est vraiment ce que nous voulions faire. Plus qu’une communauté d’espaces, il y avait aussi un lien thématique fort. L’idée que l’on s’y sente comme à la maison, et bien accueilli. Et une autre idée forte elle aussi, celle de réhabiliter un espace qui était déjà dans le paysage visuel des habitants de Romainville. Ces usines, sans perdre de leur forme, se retrouvant habitées de nouveau par une démarche artistique et culturelle qui se serait soudain substituée à leur fonction industrielle originelle. Prendre soin des lieux et des gens, c’est ce dont le groupe Fiminco se revendique pleinement.
On en a parlé justement, l’Espagne, pour ne citer qu’elle, a ses propres quartiers culturels qui continuent de germer un peu partout dans les paysages urbains industriels. Des quartiers dynamiques dans lesquels on peut facilement y passer la journée sans jamais s’ennuyer. Retrouve-t-on cette même énergie à la fondation ?
Oui tout à fait. Nous avons travaillé pour, en tout cas. Et je me permets de dire un mot sur ces anciennes usines Gaston Roussel, et Sanofi par la suite, pour rappeler qu’il était impossible pour les habitants du territoire de découvrir ces lieux jusqu’à maintenant. Des lieux qu’ils voyaient au quotidien mais dont l’état, resté industriel, empêchait de pénétrer en leur sein et de profiter de cet espace. Et c’est pourquoi ce dynamisme dont vous parliez est primordial mais aussi inséparable, je pense, de ces quartiers. Car ces derniers reposent sur des enjeux importants. Un enjeu humain de réhabilitation de l’espace territorial, pour ses habitants avant tout mais aussi pour les visiteurs ; un enjeu patrimonial pour garder des bâtiments qui ont fait partie de l’histoire du territoire, enjeu lui-même couplé d’un autre, environnemental cette fois, auquel il était impossible de ne pas réfléchir, surtout pour un tel projet. D’autant plus que les bâtiments, conçus par Jean Barraux à la fin des années 1940, étaient extrêmement bien réfléchis, et traités avec des considérations esthétiques déjà importantes pour l’époque. Les grandes ouvertures et baies vitrées que l’on peut encore voir aujourd’hui sur le site sont le fruit de réflexions humaines et sociales portées à l'époque sur les conditions de travail. Barraux étant soucieux, dans cette France meurtrie par les années d’Occupation et qui doit maintenant se reconstruire, d’apporter de la lumière naturelle aux travailleurs présents sur le site. Donc les soucis relatifs au public et leur accueil étaient déjà pensées au moment de la construction de l’usine et des laboratoires. C’est extraordinaire ! Nous nous en sommes d’ailleurs très rapidement aperçu par la réversibilité dont les bâtiments étaient capables ; notre aménagement avec la fondation étant en harmonie parfaite avec l’architecture originelle. C’est une belle leçon d’histoire que d’en avoir gardé les fondements.
Comment le public s’est-il emparé des lieux depuis l’inauguration du site ? Avez-vous pu observer quelques évolutions ?
Je remarque que le public se déplace en nombre, d’une part. Et que les origines sociales sont très mêlées. Nous avons lancé des visites de la résidence d’artistes durant tout l’été via les réseaux sociaux en pensant toucher un petit nombre de personnes. Mais nous nous réjouissions de s’apercevoir, dès le mois de juillet, que les gens se déplaçaient en groupe. Jusqu’à avoir 35 personnes par visite, ce qui est énorme ! Et des personnes d’origines géographiques très diverses. Beaucoup de Romainville et Pantin au début, puis tout le nord-est parisien assez rapidement pour enfin nous rendre compte, au gré des semaines, que venaient à la fondation des visiteurs originaires d’absolument tout le Grand Paris. Ça c’est extrêmement intéressant car ça veut dire que les informations concernant l’accueil des visiteurs, la gratuité du site, les différentes activités etc, tout cela a très bien circulé et que nous devons continuer sur cette lancée pour le futur. Dès janvier ou février, nous allons lancer une exposition sur l’art urbain dans la chaufferie, avec des artistes muralistes et des performances, toujours dans cette idée de porosité des médiums et des formes. Je remarque aussi depuis le mois d’octobre, et il est important de le noter, que les gens se déplacent en famille, avec des enfants parfois très jeunes. C’est à dire que cette tendance où l’on va avoir comme un frein à l’idée d'aller dans les musées avec de jeunes enfants ne se retrouve pas ici à Romainville. Notamment grâce au site mais aussi, je crois, du fait de notre philosophie et d'une approche du regard sur l’art et de sa relation à notre quotidien qui est différente. Jamais nous ne serons embêtés, puisque nos espaces le permettent, d’avoir de jeunes enfants en train de chahuter, courir, danser etc. C’est une grande chance! Et très inspirant pour la suite. Nous cherchons à développer de nouvelles choses pour le jeune public, et c’est d’ailleurs ce que va faire le FRAC lorsqu’il pourra ouvrir ses portes après la crise sanitaire.
On parle beaucoup du public qui part à la rencontre de l’art et de ses différents métiers : jeunes artistes, galeristes, curateurs, critiques etc. La fondation participe-t-elle aussi à engendrer une sorte d'émulsion corporative entre ceux là ?
Oui absolument. Nous tenons à créer cette atmosphère dynamique et accueillante au sein des espaces qui permet je crois toutes sortes de rencontres, et dont l’art est toujours le principal instigateur. Quand j’ai rencontré Gérald Azancot, président général du groupe Fiminco, la première fois, en 2016, il avait insisté sur le fait de trouver les ingrédients adéquats pour faire de ce site un grand lieu de rencontres. Cela semble être une idée toute simple, mais je crois que c’est sûrement la plus puissante. C’est se demander en fait, aujourd’hui, quelle est la recette pour faire d’un lieu un espace de rencontres au sens plein. Un espace où, d’une simple étincelle, au cours d’un vernissage ou d’une exposition, une rencontre va se faire entre un chorégraphe et une artiste plasticienne, ou un vidéaste, ou un directeur d’institution, ou une directrice d'association etc. Et faire en sorte que de ces simples rencontres aboutiront peut-être quelques mois après, ou quelques années même, à des projets entre ces différents acteurs.
Quelle serait pour vous la configuration finale, idéale de ce site ?
Actuellement ce serait pour nous de réussir notre « chapitre II », sur lequel nous travaillons déjà depuis plusieurs mois, et qui consiste à réinvestir un autre site adjacent des espaces actuels, toujours bâti par Jean Barraux. Près de 20 000m2 supplémentaire dans lesquels nous aimerions pouvoir réunir d’autres acteurs de la création contemporaine: le spectacle vivant; les artisans d’art, qui me tiennent à coeur car c’est un secteur très impacté par la crise sanitaire; et peut-être aussi des designers. Nous sommes aussi en train de travailler à l’établissement d’une grande école d’art à côté. La réussite dans deux ou trois ans serait d’avoir pu concrétiser ces projets et permettre une évolution encore plus importante pour ce quartier. Permettant de susciter davantage de rencontres plurielles entre les différents publics et les professionnels.
Avec la crise de cette année, la fondation a-t-elle mis en place des outils d’ordre numérique pour pouvoir tout de même proposer différents projets au public ?
Pas encore, nous espérons surtout pouvoir réouvrir très vite en physique. On essaie de raconter quelques histoires sur les réseaux sociaux ce qui est d’ailleurs très agréable à faire car cela permet de garder un lien direct avec le public qu’on ne peut malheureusement pas accueillir pour l’instant. En revanche, la résidence pour les artistes, elle, a pu continuer, tout comme les ateliers. Le site et les différents espaces ont pu continuer à vivre malgré tout. Nous avons, par exemple, un gros pôle impression au sein de la résidence qui nous permet de toucher à une pluralité de techniques comme la sérigraphie et la gravure. Il y a des tas de machines impressionnantes, une presse qui doit, je pense, être la plus grosse presse d’Ile-de-France, mais qui nécessitent bien sûr un encadrement strict, avec des professionnels. C’est pourquoi il y a aussi des chefs d’atelier qui sont là tous les jours pour accompagner les artistes dans leur prise en main et peu à peu dans leur prise d’autonomie. On essaie de parler de tout cela sur les réseaux sociaux justement. Nous ne pourrons rien présenter au public pendant les mois de novembre et décembre, mais l'on se pose la question, pour les artistes avant tout, et si les conditions sanitaires nous y obligeraient, à pourquoi pas mettre en place des formes d’ateliers numériques qui pourront, par exemple, tourner autour du parcours des artistes et de leur façon d’aborder l’art et leur travail. Toujours dans la volonté d’aider l’artiste à partager ses projets et se faire connaître du public.
C’est une forme de résistance aussi.
Oui bien sûr. Et s’il y a bien quelque chose qui nous guide depuis le début, c’est bien cette vision de la culture comme créatrice d’espoir. Un espoir qui nous aide à vivre ensemble, et l’espoir qu’on pourra bientôt se retrouver d’ici quelques semaines pour célébrer cette joie là. Et puis l’espoir se traduit avec d’autant plus d’acuité, je pense, du fait que nous sommes installés en plein milieu de la Seine-Saint-Denis, département le plus jeune de France, et montre que l’art et la culture sont des grands vecteurs de citoyenneté. L’espoir de pouvoir se dire, lorsqu’on est jeune, vivant dans un quartier défavorisé de Romainville, que l’on n’est pas condamné. Qu’on a le droit de réussir ; le droit de vibrer au contact des oeuvres d’art, et même d’en faire son métier. J’insiste beaucoup là dessus avec les différents groupes que je rencontre. Qu’importe nos origines sociales, on a le droit de se révéler cinéaste, ou artiste plasticien, ou musicien, ou danseur etc. J’espère qu’on pourra vite redonner cette envie là et cette énergie aux jeunes qui viennent nous voir.

Thomas Garnier
| Artiste résident
Comment en êtes-vous arrivé à faire une résidence à la Fondation Fiminco ? Vous vous décrivez comme un artiste, mais aussi comme un chercheur. Dans cette recherche de lieux particuliers, d’architectures singulières, investir la fondation F. semble prendre tout son sens...
Il faut savoir que mon parcours est un peu particulier, avant d’être artiste j’ai obtenu mon diplôme d’architecte. Durant mes études j’ai commencé à m’intéresser particulièrement à l’esthétique des vestiges industriels, des chantiers et des ruines, qui m’entouraient alors en périphérie parisienne. Une espèce de ligne directrice qui s’est prolongée lors de mes deux ans au Fresnoy Studio National au milieu des fabriques et hangars de Roubaix et et de Tourcoing, et des projets que j’y ai réalisés inspirés par les chantiers gargantuesques des mégalopoles chinoises.
Je suis très sensible aux espaces que je fréquente au quotidien, je cherche dans ces espaces d’entre-deux, non définis une forme de liberté fertile que je ne trouve pas ailleurs. Tout cela a donc été mesuré avant d’intégrer la résidence qui elle-même s’installe dans des anciens laboratoires et usines pharmaceutiques de Pantin.
Parlez-nous de votre espace de travail, Comment est votre atelier, et comment l’avez-vous investi ?
Mon atelier est très confortable, les conditions d’espace et de lumière y sont idéales avec de larges fenêtres et une grande hauteur sous plafond. Mon espace donne directement sur le site industriel de Fareva en cours de réaménagement, que je vois évoluer de jour en jour. J’y ai installé un ensemble de machines de fabrication numérique qui vrombissent et s’agitent en réponse aux tractopelles et grues extérieures.
Je partage aussi l’espace, avec deux autres artistes d’horizons et de nationalités différentes, le tout dans un climat paisible, propice à l’entraide et aux échanges.
Quels sont les projets que vous avez entrepris durant le temps que vous avez déjà passé à la fondation ?
Je travaille principalement sur la réalisation de mon premier projet d’exposition personnel prévu pour avril 2021 à la galerie Fernand Léger d’Ivry sur seine. Je prévois plusieurs projets d’installation automatisés dans la continuité du ‘‘Cénotaphe’’, des machines génératrices de structures et d’espace. Dans le cadre de la fondation, je n’ai pas proposé de projet précis directement, je me laisse le temps de baigner pleinement dans l’atmosphère pour proposer quelque chose d’in situ qui n’est pas exogène à l’historique du site.
Quelles sont les opportunités que vous offre cette résidence ? Que vous permet d’explorer cette situation hors du commun ?
Dans ces conditions particulières de la crise sanitaire de la Covid-19 il est malheureusement difficile de profiter de cette résidence pour inviter du public ou des professionnels pour le moment. Mon travail d’installation est aussi prévu pour être présenté dans des événements, festivals et biennales qui sont fortement touchées par la crise actuelle. Je suis donc obligé de me remettre en question sur la façon de présenter mes œuvres, ce temps de résidence me sert donc de "respiration" pour apprendre de nouvelles techniques, expérimenter de nouvelles pistes, lire et faire de la recherche qui servira pour plus tard.
Quel est, pour vous, l’objectif de cette année ?
En plus de mener à bien mes projets d’exposition pour 2021, mon objectif est de profiter de ces conditions exceptionnelles pour continuer d’ouvrir ma pratique et d’assimiler de nouvelles connaissances, comme me perfectionner en code et en modélisation 3D.
Si vous pouviez investir ce lieu exactement comme vous le vouliez, quelle œuvre imagineriez-vous ?
La lettre que j’ai écrite à la fondation Fiminco avant mon admission était parfumée à la rose pour le grand espace de la chaufferie, l’espace d’exposition principale de la fondation. Ce bâtiment a pour moi quelque chose de presque sacré, avec ces énormes baies verticales et ses vastes hauteurs sous plafond nécessaires à accommoder les vastes machineries qui y étaient présentes dans le passé... une forme de cathédrale industrielle en sorte....
Si tout m’était permis je réaliserais une installation pharaonique en son sein, une machine démentielle qui vous engloutirait dans un torrent de lumière, de son et d’image.
Retrouvez Thomas Garnier

Kubra Khademi
Artiste résidente
Pouvons-nous parler d’instabilité ici, ou au contraire, d’une trêve créatrice dans votre situation d’exilée politique ?
Et bien je vis ma vie en tant qu’exilée, donc elle est toujours très instable : je ne suis pas d’ici et je le ressens profondément. Finalement, je crois que c’est absolument normal de ressentir ce détachement par rapport à mon pays, ma culture, ma famille… par rapport à mon histoire. Je transporte tout cela avec moi, en moi, comme une identité. Ce ressenti est très beau et précieux. Intentionnellement ou pas, il transparaît dans mon art aujourd’hui, alors que je vis à des centaines de kilomètres de mon pays d’origine. Il est vrai que je me sens aussi comme une femme artiste déracinée qui essaie de trouver un moyen d’avoir une voie et de trouver une nouvelle identité. Je ne veux pas me contenter d’être l’observatrice de mon époque, au contraire, je souhaite transformer les problématiques qui me touchent en œuvres. Je réapprends à travailler en tant qu’artiste dans le contexte français. J’ai de la liberté ici, et l’art est pris en considération. C’est absolument incroyable pour moi, et j’ai énormément de raisons d’être reconnaissante...
Parlez-nous de votre espace de travail. Comment est votre atelier, et comment l’avez-vous investi ?
Tout d’abord, mon atelier est très grand ! C'est la première fois que j’ai autant d’espace pour créer et cela a beaucoup impacté mes productions. L’équipe de la fondation Fiminco est très à l’écoute, ils sont vraiment présents dans l’objectif que nos projets voient le jour. C’est si bon de sentir qu’en tant qu’artistes, nous ne sommes pas seul.e.s dans nos processus de création. Créer dans un espace aussi grand n’est pas si facile au départ, il peut être compliqué de s’y sentir bien, effrayant d’avoir accès à tant de matériel et savoir qu’une si belle exposition se profile à la fin de la résidence. Cette année a de plus été très compliquée pour les artistes en général ! Beaucoup d’entre nous ont perdu leur atelier pour défaut de paiement, énormément d’expositions ont été annulées à cause de la pandémie… Tant de choses se sont passées cette année pendant que je travaillais ici, tous les jours. Je suis extrêmement privilégiée d’avoir pu profiter d’un espace aussi calme où j’ai pu travailler dès que je le désirais. J’ai trouvé beaucoup de liberté dans cet atelier. Fiminco nous a très généreusement ouvert les portes de ses divers espaces de création, des studios de conception vidéo aux ateliers de gravure en passant par un laboratoire photo, etc… Pouvoir y travailler et y expérimenter lorsque j’en ai besoin a définitivement affecté mon travail !
Quels sont les projets que vous avez entrepris durant le temps que vous avez déjà passé à la fondation ?
Pour l’instant, j’ai terminé une importante série de dessins pour mon exposition. D’autres pièces sont également en cours de création, partiellement terminées. J’ai encore besoin de terminer une pièce pour l’exposition dans La Chaufferie à la fin de la résidence. J’ai vraiment hâte d’investir ce superbe lieu de la Fondation. J’ai prévu d’y présenter une série de photographies sur laquelle je travaille encore, ainsi qu’un projet vidéo. J’y aborderai des problématiques autour de mon identité. Je ne veux pas trop en parler pour l’instant, car c’est un projet en cours. Je préfère parler de mon travail une fois qu’il est achevé et que je l’ai sous les yeux.
Quelles sont les opportunités que vous offre cette résidence ? Que vous permet d’explorer cette situation hors du commun ?
En premier lieu, vivre dans une communauté d’artistes en résidence est très enrichissant. Nous échangeons et partageons nos expériences entre plasticiens de disciplines et de cultures différentes. J’aime cette vie en communauté, cet esprit de colocation. Durant le confinement, vivre à Fiminco a été une chance. Je ne me suis pas sentie isolée de la vie artistique, et ce malgré la fermeture des musées, l’annulation de nombreux évènements. Ma résidence m’a permis non seulement de produire dans un contexte paisible mais aussi d'être entourée par une communauté très dynamique.
L’autre point positif de cette vie en résidence, ce sont les visites d’atelier par les habitants de la Seine Saint Denis. C’est très important pour moi d’accueillir du public. En tant que performeuse qui se produit dans des lieux publics, les habitants de ces lieux sont fondamentaux pour ma pratique et j’ai besoin de me connecter avec eux. Bien sûr, cela se faisait dans un cadre sanitaire évident, avec un nombre limité de visiteurs, mais grâce à la Fondation, cela a tout de même été possible.
Quel est, pour vous, l’objectif de cette année ?
D’utiliser au maximum les opportunités que me propose Fiminco. Je me répète, mais le grand atelier lumineux qui m’a été confié est formidable pour réaliser de grands dessins, pour terminer mes projets… Un espace convivial rempli d’artistes est le lieu idéal !
Si vous pouviez investir ce lieu exactement comme vous le vouliez, quelle œuvre imagineriez-vous ?
Je fais exactement ce que je veux faire, en réalité ! Une grande série de dessins est terminée, et je suis prête pour mon exposition solo. L’usage de la sérigraphie est arrivé dans mon travail grâce au studio de sérigraphie de Fiminco. J’ai d’autres projets que je compte bien réaliser avant la fin de ma résidence. J’ai décidé de réaliser chaque expérimentation qui me vient en tête jusqu’au dernier jour de mon séjour à la Fondation !
Retrouvez Kubra Khademi

Vincent Sator
| Galeriste
Parlez-nous de la manière dont la galerie SATOR a intégré l’espace Komunuma à la fondation Fiminco.
En 2016, le Directeur artistique de la Fondation, Matthieu Lelièvre, grand ami à moi, m’a parlé du projet avec enthousiasme. En février 2017, pour l’exposition de préfiguration de la fondation dans les espaces encore délabrés du site, Matthieu Lelièvre a invité l’un de mes artistes, Gabriel Leger, à y participer. Quelques mois après, alors que les autres galeries faisaient déjà partie de ce qui allait devenir plus tard Komunuma, j’ai demandé à Matthieu Lelièvre dans quelle mesure ma galerie pouvait en faire partie, y compris sur un mode éphémère. Il m’a alors été proposé de rejoindre le projet de manière permanente.
L’espace de la nouvelle galerie propose quelque 100m2. Une ouverture nouvelle lorsqu’on pense à l’agencement et à la superficie de la galerie du Marais. Quelles possibilités nouvelles vous offrent ce lieu en termes d’expositions ?
Uniquement consacré à l’exposition, l’espace de la galerie à Komunuma se déploie sur près de 130 m2 et accueille désormais la programmation officielle de la galerie. Nous n’avons par contre ni réserve, ni bureau ou pièce supplémentaire sur le site. La galerie du Marais fait donc office de bureau avec nos archives, de réserve pour les petites pièces, de viewing room pour les présentations spécifiques d’oeuvres et accueille des projets plus courts, plus libres, hors programmation officielle, en complément de l’espace de Romainville (expositions, performances, lectures…).
Ce rassemblement de galeries privées au sein de la fondation est-il un projet avancé par les galeristes ou une proposition du groupe Fiminco ?
Il s’agit d’une rencontre entre des galeries qui à l’origine cherchaient ensemble de nouveaux espaces notamment en dehors de Paris (In Situ Fabienne Leclerc, Jocelyn Wolff et Air de Paris) et le groupe Fiminco.
Comment exploitez-vous cette mise en commun avec les autres galeristes ? Travaillez vous ensemble ?
Nous travaillons ensemble à la valorisation du site grâce notamment à un outil associatif que nous venons de créer. Nous mutualisons certains frais, en communication par exemple. Nous convenons ensemble des dates de vernissage et d’expositions et organisons (hors période covid) des événements collectifs. Nous avons par ailleurs tissé entre nous une relation amicale et de confiance qui nous permet de créer de véritables synergies entre nous tous.
Ce que vous préférez dans ce nouvel espace ?
Le volume et la lumière.
Avez vous noté un changement au niveau du public qui fréquente la galerie depuis son installation à Romainville ?
Il est manifeste que le public de Komunuma se compose de visiteurs curieux et volontaires faits de conservateurs et curateurs, de collectionneurs ou de simples amateurs. Nous avons observé que nos visiteurs restent plus longtemps dans nos espaces de galerie que ce que nous connaissons à Paris. Dans tous les cas, nous nous réjouissons d’accueillir autant de visiteurs que dans le Marais.
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43 Rue de la Commune de Paris
93230 Romainville