
Nils Vandevenne | Janvier 2022
Martyr, 2021
Contre plaqué, peinture glycérophtalique, enduits, 129 X 78 x 2 cm
Dans mon travail, plutôt que de peindre, je cherche à dé-peindre, à retirer la matière de la surface du tableau. La couleur est arrachée par l’outil, les matières resurgissent et entrent en dialogue et en confrontation avec le dernier état de vie de l’objet. À rebours de l’acception commune de la peinture qui consiste à ajouter de la matière pour former le sujet, je choisis de la retirer par un processus qui agit comme une révélation. Lorsque j’altère la surface, toutes les stratifications de l’ancienne vie de l’objet émergent. Ce geste de soustraction de la matière est un geste animal, instinctif. Je m’emploie donc à fouiller, chercher, et finalement à retrouver une histoire matériologique de la vie du support, du
martyr, ou de ce qu’il était.
Nils Vandevenne, Janvier 2022


Matisse dit que la créativité demande du courage. Quel jeune artiste n’a pas ressenti cette oppression, cette impression de nager à contre-courant d’un chemin tracé pour lui au préalable ? Être artiste n’est pas une mince affaire ; au contraire, c’est une affirmation et un engagement. Le mot martyr est un terme fort, qui présente la forme ultime de l’abnégation et du sacrifice. Le martyr est un être totalement fondu dans ses convictions, au point d’en souffrir jusqu’à un point extrême ou d’y laisser la vie.
Sans aller jusqu’à pousser l’analogie trop loin, ne pourrait-on pas dire que l'artiste dans nos sociétés modernes se donne entièrement à ses ambitions plastiques, faisant fit des difficultés ? Il me semble que c'est le cas du peintre Nils Vandevenne lorsque celui-ci se lance dans l’exploration de la peinture de son siècle. Peindre n’est pas simple et la question de la peinture semble s’étendre et s’expandre à l’image d’une quête Faustienne, désespérée, acharnée, courageuse. Je suis fascinée par les peintres d’aujourd’hui, et par leur capacité à sortir cette notion d'elle-même tout en revenant sans cesse à ce qui fait son essence. Nils Vandevenne se plonge ainsi sans ménagement dans son projet d'une peinture qui se réinvente continuellement. Venant s'inscrire dans la ligne de pensée de grands plasticiens tels que Lawrence Weiner, celui-ci prend le parti d’une peinture qui s’inverse, qui se creuse et s’autopsie, d’une découpe dans le corps même de la matière qui fait le support du pigment. Dans cette œuvre, Nils Vandevenne poursuit ses explorations autour d’une pièce d’usine communément appelée martyr. Celle-ci a l'usage de supporter (d'être le support de…) tous les accrocs et toutes les agressions du labeur, portant ainsi les stigmates d’une résistance aux forces qui lui sont imposées et ce jusqu’à la destruction.
Nils Vandevenne propose une interrogation aux strates multiples, à l’image de ses œuvres, réparées, recouvertes, repeintes puis creusées, disloquées. La peinture se fait porteuse des cicatrices d’un travail acharné, et c’est justement le stigmate du travail qui lui donne toute sa dimension. Une géologie semble alors naître des différentes couches superposées, révélées par l’outil qui déchiquète le bois, à peine contrôlé par la main de l’artiste qui doit presque se soumettre à la violence d’un appareil violent et puissant.
La peinture de Nils Vandevenne est une tentative, une expérimentation constante, mais surtout un retour à l’essentiel. De cette impulsion naissent des œuvres puissantes, brutes et à la paradoxale finesse qui se comprennent presque instinctivement. Elles touchent à l’art le plus fondamental, celui ancré dans l’être humain depuis ses premières pièces : matière, corps, couleur, geste, et trace.
Luci Garcia