Lionel Sabatté
« Je m’intéresse à l’éphémère, à la disparition, à l’émergence... »

Vous expérimentez toutes sortes de matériaux. Quelle est votre approche de la matière et des éléments organiques ?
Ma première rencontre avec un matériau particulier fut avec la poussière. J’ai été surpris par un mouton de poussière que j’ai pris pour un animal, ou un insecte. Ma première idée fut de mettre en forme un petit loup. Puis j’ai commencé à travailler avec les rognures d’ongles, avec le thé, le ciment, le curcuma. J’utilise des matériaux de rebut et d’autres plus classiques pour créer mes œuvres.
Je m’intéresse à l’éphémère, à la disparition, à l’émergence y compris dans des matériaux plus traditionnels de la sculpture. Dans mes peintures, je joue avec les taches, les éléments incontrôlables, les brillances qui créent des formes. La préservation et le soin sont aussi au cœur de mes préoccupations d’artiste. Je cherche à ne pas surconsommer et privilégie le recyclage.
Le temps et le cycle de la vie sont au cœur de votre démarche artistique. Comment cela se révèle dans vos œuvres ?
Je pense le temps avec plus de distance et prend le parti de travailler sur la question d’un temps très long. J’utilise des matériaux universels. Les moments clefs, les moments de crise en quelque sorte, durant lesquels les choses deviennent intenses m’intéressent. Le cycle du vivant de la matière se révèle dans mes œuvres.
Dans vos dessins, peintures, sculptures, vous explorez des champs pluri-disciplinaire, traitez du vivant animal, végétal, de l’organique. Comment créez-vous ce va-et-vient entre les techniques ?
Dès le départ, j’ai eu envie de me servir de plusieurs médiums de formes différentes. La peinture me permet une évasion rapide dans un univers inconnu. La sculpture m’amène plus à faire surgir des formes identifiables qui convoquent le réel. J’ai besoin de faire appel à des univers variés et je cherche à ne jamais être dans l’ennui et privilégie la possibilité de nouvelles découvertes.
L’animal est souvent présent dans vos œuvres. Que signifie-t-il pour vous ?
L’animalité est l’altérité. Je cherche à rendre les choses communicantes. Il fut un temps, je figurais des objets qui devenaient des formes de vie. Quelque chose qui interagit. L’animal permet à l’humain de faire un pas de côté et d’être en décalage avec sa zone de connaissance habituelle. J’explore des formes de vie inhabituelles. Je crée des espaces où les choses interagissent avec nous. Je fus marqué, enfant, par le choc pétrolier de l’Amoco Cadiz. Je tente de soigner et d’accorder de l’attention à notre environnement et aux êtres vivants non humains.
Vos travaux artistiques reflètent une attention à la nature, aux organismes, aux premières formes de vie et à la métamorphose. Quel engagement revendiquez-vous en tant qu’artiste ?
Je suis attentif au vivant. Certaines œuvres paraissent plus engagées dans des revendications écologistes. Mon travail artistique relève plus de la contemplation plutôt que du combat politique. Je suis avant tout un artiste qui réalise des formes plutôt que des discours.

De quelle façon les espaces et les lieux peuvent-ils vous inspirer ?
L’exposition à l’aquarium de Paris fut très importante dans ma carrière d’artiste. Maintenant, j’adore travailler dans des lieux particuliers. Dans l’abbaye d’Escaladieu, je construis directement dans le lieu. Pour mon exposition personnelle au musée d’art moderne de Saint-Etienne, une de mes œuvres les plus importantes sera réalisée sur place. Quoi de mieux que l’acte de création directement dans le lieu.
Que vous apportent les lieux, notamment ceux extérieurs ?
J’apprécie énormément de créer certaines des œuvres sur place en interaction directe avec le lieu. C’est stimulant de se retrouver dans une situation inhabituelle, parfois inconfortable. La résolution de problèmes techniques et l’état émotionnel d’instabilité sont pour moi de merveilleux outils qui poussent à aller plus loin. Les lieux influencent énormément la chose qui va être créée. Le lien avec l’histoire m’intéresse également.
Vous explorez les cycles de la matière, tout comme l’apparition de formes. Quelle est la part de hasard et de contrôle que vous laissez dans vos œuvres ?
C’est un va et vient constant entre contrôle et lâcher prise, surtout pour les œuvres bi-dimentionnelles pour lesquelles les aléas des réactions de la matière ont souvent une place centrale. Je me mets aussi dans des situations de vitesse physiquement éprouvante pour atteindre le lâcher prise.
Dans votre exposition monographique au musée d’art moderne et contemporain de St-Etienne, vous avez créé des œuvres in situ et certaines relèvent de gestes qui s’affirment au fur et à mesure qu’elles prennent place dans l’espace… De quelle manière vos gestes traduisent-il l’expérience du temps, d’une période entre archéologie et futur ?
Pour ma part j’ai l’impression que le temps des œuvres est dilaté. Elles s’inscrivent dans une histoire tellement longue et sont souvent vouées à nous survivre. En même temps, la fulgurance est une des composantes. J’aime composer avec ces deux temporalités si éloignées.
Quels sont vos prochains projets ?
Je participe à l’exposition Expérience Pommery, qui va démarrer le 7 avril sous le commissariat de Fabrice Bousteau et également Art Paris avec la galerie Bernard Chauveau 8+4. Mon travail a été sélectionné par Alice Audouin commissaire de cette édition qui travaille sur les relations entre art et environnement, pour être présenté en focus.
En octobre, une exposition à la cristallerie St Louis sur une invitation de Pascal Yonet. En 2023, une exposition personnelle au Château de Chambord.
Dialogue conduit par Pauline Lisowski