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Lancée par Aurélia Casse en 2021, mämia est une plateforme digitale d’exposition de travaux de jeunes photographes internationaux. La première édition est conçue comme un récit photographique autour de la ville d’Helsinki : il s’agit de suivre le chemin d’un appareil photo argentique, passant entre les mains de plusieurs artistes, qui explorent les genres de l’autoportrait et de la nature morte.
Franny Tachon
mämia est une plateforme curatoriale en ligne, construite comme un récit photographie organisé spatialement et symboliquement autour de la ville d’Helsinki. Comment est né ce projet ?
Aurélia Casse : C’est par mes rencontres à la Aalto University en Finlande que j’ai commencé à prendre mon désir de photographier plus au sérieux. J’ai réalisé au contact de Sidonie Ronfard, dont le travail est présenté via mämia, que l’envie de photographier était quelque chose qui me poursuivait peu importe où j’allais. Je me sentais photographe sans me l’avouer et je gardais mes images au chaud pour moi. Le temps s’est allongé avec la covid et le matériel photographique, que m’avait transmis mon ami Valentin, me faisait de l’œil. J’ai d’abord utilisé le rb67 pour mon propre usage, sur les conseils de celui-ci. Le rythme plus serein de la ville m’a laissé le temps de la pose - Helsinki est moins effréné que Paris ! Sans trop le réaliser et de manière instinctive, j’ai découvert la capitale suomi et ses habitants grâce au moyen format. Une rencontre avec un photographe, Peter Holliday, m’a confortée dans l’envie de poursuivre mes recherches en photographie.
Saisie par l’envie de mettre à profit ma formation en commissariat d’exposition dispensée par Bassam El Baroni, Mi You, Lucy Davis et Pia Euro, j’ai donc prêté cet appareil à des photographes de mon entourage. Un récit s’est peu à peu construit entre mars et septembre 2020, suivant le chemin de l’appareil photo : l’objet a parcouru les mains de six artistes, tous résidant à Helsinki, au temps de la distanciation sociale. Je leur ai demandé deux photos : un autoportrait et un objet auquel ils tiennent. Porter un regard sur son intimité et faire un trajet vers soi à travers le genre très « humain » de l’autoportrait, à l’heure du zoom-meeting et de la distanciation physique, m’est apparu comme une évidence.
Que signifie ce mot « mämia » ?
Aurélia Casse : mämia est un mot inventé dérivé de celui de l’appareil photo : un rb67 de la marque japonaise MAMIYA appréciée sur le marché de l’occasion argentique. Autour de moi, j’assistais à des successions comiques de syllabes « mamamia mmmmamamia - mamia », on n’arrivait pas à prononcer ce nom. Sans parler du phrasé finnois très appuyé du mot. Avec Albane, on a proposé des écritures vocalisées à mon amie Ronya, finlandaise, qui nous a aidé à choisir un terme qui ne signifie rien en aucune langue. Elle est notre propre prononciation du mot.
Comment avez-vous choisi les six artistes dont le travail est actuellement présenté sur mämia ?
Aurélia Casse : mämia est une histoire urbaine de proximité, l’appareil photo a parcouru la ville d'Helsinki par un petit réseau de photographes internationaux majoritairement liés à la Aalto. Je connais certains des artistes personnellement, j’ai contacté les autres via Instagram. Avec Rasmus, par exemple, on ne s’est jamais rencontré. Je me suis adressée à des photographes qui maîtrisaient l’argentique. Le choix était restreint même si le retour de la photographie analogique est bien là, rares sont ceux qui la maîtrisent.
Le choix des artistes a été très instinctif et naturel. Tous ont un univers qui m’a plu, que j’ai eu envie de creuser, de la même façon qu’une personne que j’apprends à connaître. J’ai aimé l’idée d’être associée à leur processus créatif.
Leurs propositions sont très différentes les unes des autres. Quelle était la part de liberté donnée aux artistes pour la réalisation des clichés ?
Aurélia Casse : Leur liberté était aussi totale que restreinte. Un seul appareil photo, un objet et soi même comme sujet. C’était presque autoritaire ! J’ai été agréablement surprise par leurs diverses réponses. Le livre Seeing ourselves : Women's self-portraits de Frances Borzello a été un fort imput pour le projet. À ce moment, là j’étais baignée par les lectures féministes de Françoise d’Eaubonne, Donna Haraway, Anna Tsing… Le récit photographique de Bruce Wrighton dans At home, couvrant une zone géographique allant de Binghamton à New-York, m’a menée à l’idée de portraiturer un espace topographique par de multiples regards. La photographie d’un objet vient compléter celle de l’autoportrait. Elle renvoie, par ailleurs, au lieu, au contexte, au chez soi mais aussi au regard porté par l’artiste sur telle ou telle chose lui faisant face. L’objet ouvre le champ des possibles. En cette période, je trouve important de s’entourer de choses «rassurantes». Un objet qu’on utilise quotidiennement, un outil, un livre perdu qu’on retrouve. Puisqu’on ne peut plus sortir comme avant. Un rien peut devenir symbolique et échappatoire. Dans un autoportrait, on se prépare pour soi-même et on met en scène sa propre image. L’appareil photo que j’ai passé est à propos pour cela, il encourage à « poser » car c’est tellement d’installation !

© Vilma Pimenoff, Self portrait, 2020
Pourriez-vous nous parler de quelques propositions photographiques disponibles sur le site ?
Aurélia Casse : Lorsque j’ai proposé à Sidonie Ronfard de participer au projet, elle m’a d’abord dit « Ohlala c’est super restreint ta demande! Moi je me sens pas libre du tout j’ai envie de sortir de ce cadre, de cet appareil photo que tu nous imposes » tandis que Jo Hislop m’a confié qu’elle, bien au contraire, était stimulée par le principe de la demande, qu’elle avait déjà des envies. Puis finalement, Sidonie a vu la photographie d’un objet comme une réflexion sur un sujet, une pensée. Je n’ai pas mentionné une seule fois le mot « visage » dans ma demande. Son autoportrait, une rose, est une métaphore. L’objet d’Heikki Humberg est teinté de narration anecdotique et d’humour, c’est une histoire très personnelle et presque autobiographique. C’est fou comme les propositions sont cachées, révélées, floutées… Sheung Yiu et Vilma Pimenoff sont quasi spectraux dans leurs autoportraits. Les corps et visages sont dissimulés dans la photographie. Rasmus Mäkelä a combiné les deux photos en une. J’espérais secrètement qu’un artiste allait le faire.
Quelle est, selon vous, la particularité d’un projet curatorial en ligne ? Comment présenter numériquement un travail plastique ?
Aurélia Casse : La curation, autrement dit le « commissariat d’exposition », est un terme récent, à la mode, et généralement réservé au milieu de l’art, que ce soit celui des institutions, des galeries etc… Pour moi, c’est le rôle de quelqu’un qui rassemble des artistes autour d’un certain sujet, d’une question, d’une envie. mämia est une plateforme pour introduire les artistes via leur travail mais aussi une page d’exposition puisque leurs images les présentent eux-mêmes. La photographie est, je trouve, un médium qui permet facilement de communiquer et de faire passer des émotions. Mais il est aussi difficile d’insérer de la photographie contemporaine (fine art/ plastique) dans un flux d’images internet. Ce n’est pas évident de parler d’autoportrait à l’heure du selfie mais à la fois, c’est intéressant de les faire cohabiter sur le net…
Comment avez-vous conçu l’identité graphique de mämia ?
Albane Durand-Viel: Aurélia m’a appelée et m’a parlée du projet, ça a été tout de suite très fluide au niveau du travail. On a beaucoup dialogué par rapport au mot mämia. Au début, le projet ne portait pas ce nom. Instinctivement, j’ai eu envie de donner une forme de légèreté au titre. On a transformé phonétiquement une prononciation en écriture. Pour le design du site, on voulait quelque chose de simple, d’épuré, et d'élégant. Deux couleurs principales qui se répondent et laissent la place aux images.
Vous venez de lancer un open call pour une seconde édition de mämia. Comment imaginez-vous la suite de ce projet ?
Aurélia Casse : Avec mämia, on fait le choix de présenter un artiste et son travail le temps d’une photo ou deux. L’autoportrait est au centre du projet, c’est un sujet de plus en plus abordé par les photographes de ma génération, bien qu’il soit un genre photographique ancien.
C’est réjouissant d’imaginer de nouveau un open call, de travailler avec de nouveaux artistes. La plateforme en ligne, c’est un début transitoire. On a envie que les photographies des artistes mämia soient rendues physiquement. On aimerait faire une édition par la suite, et pourquoi pas, une exposition.
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