

Robin Vicente | Mai 2022
Today Information Means Everything
TIME magazines, bâche plastique noire, Dimensions variables (ici : 200 x 160 cm), 2018 - 2019
Dans mon travail plastique, j’ai développé une figure dite de “l’artiste bousier”. Cela me permet de faire le parallèle entre cet insecte, qui récolte et collecte la production d’autrui pour vivre et mon propre rapport au temps et à la collection à travers ma fascination pour les images sociales, politiques, de conflits.
Au fil des années, j’ai constitué un fond d’images, sans classification, telles qu’elles me parvenaient lorsque je faisais des recherches sur internet et qui avaient particulièrement attiré mon attention.
Je me suis abonné au TIME pour parfaire mon anglais et également assouvir mon intérêt pour les actualités internationales.
Assez rapidement, je n’ai plus pris le temps de lire le TIME… Je les gardais sous blister, ils arrivaient, s’accumulaient, s’entassaient, envahissaient mon espace de travail. Tant et si bien que je songeais même à m’en débarrasser.
Je ne savais plus quoi en faire. Que faire de magazines stockés dont la seule finalité aurait été de finir dans un sac poubelle ?
Pourtant certaines couvertures étaient marquantes et certains éléments dans ces couvertures étaient encore plus marquants.




Today Information Means Everything puise certainement son inspiration dans l’oeuvre “Anno 1984” de Boetti qui présentait une année de presse de l’artiste.
Réaliser Today Information Means Everything m’a permis de remettre en lumière des éléments d’actualités vis-à-vis desquels je ne savais pas forcément quel positionnement adopter, par rapport à des éléments qui me submergaient plus que d’autres.
J’ai sélectionné ces couvertures comme les images de mon fond iconographique : telles qu’elles se présentaient à moi. Par le biais d’un caviardage je pensais vouloir créer une mise à distance de celle-ci parce que je pensais ne pas réussir à les gérer.
En réalité, il s’agissait plutôt de mon rapport à l’image ; la décontextualisation pour faire le “focus” sur un élément précis. Les ré-emballer dans un sac poubelle et au scalpel, ouvrir des fenêtres, pour laisser voir des éléments de couverture à travers la masse noire du plastique
J’ai éprouvé le besoin de passer par là, de décontextualiser l’image pour la digérer, l’assimiler, prendre du recule face à celle-ci et aussi face à mon propre rapport aux images.
Passer par la déconstruction pour mieux appréhender les choses. Cette décontextualisation est devenue comme un système dans mon rapport aux images et cela vient peut-être aussi parasiter le rapport au temps, à la temporalité de ces Unes, de l’information.
Cela soulève aussi la question : “est-ce que la décontextualisation peut être envisagée comme un vecteur de censure ?”
Dans son travail “Gaza Été 2014” Swen Renault nous fait nous questionner sur cette idée de la décontextualisation. Cette œuvre composée de 16 images qu’il a récupéré sur internet, nous montre un détail de la guerre de Gaza en 2014. Le recadrage nous prive d’un contexte et ainsi d’une compréhension des faits. On se retrouve face à quelque chose au premier abord de très esthétisant si l’on ne tient pas compte du titre de la série.


Cette série m’a amené à questionner à nouveau le temps de l’information, de la collecte et de la création. A travers ce processus de réemballage, j’ai pu questionner mon rapport à la consommation de l’image. Ces images arrivant par paquet, en vrac, comme une espèce de zapping et qui me confrontaient à ma propre inaction, ma propre incapacité de faire.
Lors d’un Ted Talk, l’artiste Taryn Simon évoque qu’il y a “des vérités multiples qui sont attachées à chaque image, selon l’intention du créateur, le spectateur et le contexte dans lequel l’image est présentée” (An American Index of the Hidden and Unfamiliar).
Cette installation représente mon propre rapport et ma vision de ces images, mais ce n’est pas forcément le regard que va entretenir le spectateur face à ce que je propose. Il y a un espace d’imagination qui se crée entre le sens de l’image, l’histoire qu’elle raconte, les mots qui sont visibles et les couvertures entre elles. Pensées dans un ordre précis, en faisant complètement fit de la chronologie de ces magazines, des glissements peuvent s’opérer d’une image à l’autre, d’un élément à l’autre.
Ce caviardage me permet de raconter autrement une histoire qui est en train de se jouer, de donner une autre lecture, qui serait la mienne. Pour peut-être donner d’autres clefs de lectures de celles-ci, de ces événements.
Au milieu de cette quarantaine de couvertures, cinq d’entre elles laissent apparaître une phrase qui résume peut-être bien mon rapport à ces magazines et aux images ; How To Not Deal With TIME.
Robin Vicente, Mai 2022

Lorsque je découvre un artiste, je pense immanquablement à la liste de verbes de Richard Serra. Dans l'esprit naissent une succession de verbes, d'actions ; le faire du plasticien impulsivement démantelé par le langage.
Il en est justement question dans cette pièce de Robin Vicente, qui appelle des verbes minutieux, découpés dans la langue avec délicatesse comme se déplient les sacs plastiques qui la composent. ÉVIDER, somme toute EXTIRPER ces fragments photographiques qui jaillissent et se réarrangent dans une poésie nouvelle, une poïétique visuelle que Vicente invente à mesure qu'il dentelle la bâche noire.
SURGIR : La fulgurance des photographies qui déchirent la bâche des sacs poubelle compose une image nouvelle : information journalistique remodelée pour servir un propos plastique.
Robin Vicente crée des déclics visuels à partir d’images glanées. Une simple modification, un décalage à peine visible suffisent à INJECTER dans l’image la substantifique moelle qui la transforme en œuvre et lui donne un parti pris. Celui-ci est simple, sans équivoque et vient affirmer les mouvements réflexifs incessants qui parcourent l’oeuvre. Que faire de ces TIME qui s’empilent ? Que faire de cette matière papier, finalement de cette matière temps (ce TIME/temps, entre information et continuum) ?
Dans Today Information Means Everything, le temps de l’artiste, occupé à la réalisation de la pièce et le temps du TIME Magazine, celui du flot ininterrompu de l’information, se confondent l’un et l’autre dans un agencement nouveau qui INTERROGE à la fois le rapport à l’information, au temps, et la production artistique comme réponse à l’impossibilité d’AGIR.
Robin Vicente pose peut-être la question de l’investissement. Comment s’INSCRIRE dans le flux de données qui nous inondent chaque jour lorsque l’on est un.e. artiste ? INVESTIR le terrain de l’art et finalement prendre le temps de l’art pour REAGIR au monde ; art révolte, art cri, art constat, art manifeste, art dialogue.
Le spectateur, au travers de la poésie nouvelle proposée par l’artiste, se doit de DECORTIQUER ce qu’il a sous les yeux, d’apporter une attention toute particulière à ces images extraites de leur contexte initial. Le focus est fait mais l’information est incomplète, éclatée sous la bâche, n’apparaissant qu’en fragments d’images et de mots. Le grouillement incessant des nouvelles réprimées sous le plastique, surgissant par éclats indiciels, accorde une pause dans le flux. L’artiste offre sa vision ; le spectateur en fait une lecture singulière, voguant d’image en image et créant, sur la narration proposée, des connexions nouvelles.
Une phrase se détache sur le fond luisant : “How not to deal with TIME”. Ce qui est fait du TIME, (et peu importe que cela soit la bonne manière), nous l’avons sous les yeux ; comment investir le nôtre, de time, c’est une autre histoire qu’il nous appartient de COMPOSER nous même.
Luci Garcia