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Samuel Gratacap

«  Je me suis rendu compte qu’on pouvait exprimer, par le sensible et par la création, des choses qui donnaient à repenser ce qui nous entoure. »

Samuel Gratacap, Camp de Choucha en Tunisie, série Empire,  2012-2014

Comment en êtes-vous venu à la photographie ? 

 

J’ai commencé à faire de la photographie dans le cadre de mes études aux beaux-arts de Bordeaux. Parmi les différentes disciplines proposées, il y avait un cours de photographie technique. C’était assez plaisant parce qu’à cette occasion on pouvait acquérir un savoir,  on pouvait aussi le faire par le volume ou la peinture, mais c’était beaucoup plus abstrait parce que ça devait être au service d’un projet. Ce que j’ai tout de suite aimé avec la photographie, c’est qu’on pouvait plutôt avoir un travail autour de son quotidien. Alors que j’étais en train de découvrir un nouveau monde, celui des beaux-arts, la photographie me permettait de commencer à parler un peu de ce qui était autour de moi. J’appréciais aussi le côté instantané, intuitif de la photographie. 

 

Alors que vous étiez encore étudiant, mais cette fois-ci aux beaux-arts de Marseille, vous avez commencé un travail de photojournalisme au centre de rétention administrative pour « sans-papiers » du Canet. À cette occasion, vous avez réalisé des portraits et recueilli des témoignages de « retenus ». Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce sujet ? 

 

Alors que j’avais surtout fait de la peinture au cours de mes trois années aux beaux-arts de Bordeaux, je voulais reprendre mes études en me spécialisant en photographie. Je suis arrivé aux beaux-arts de Marseille avec l’envie de travailler sur le territoire. J’avais eu un écho de la ville, mais je n’y étais jamais allé. Quand je suis arrivé pour m’y installer, j’ai découvert une grande ville avec du mouvement, avec une autre culture, avec une ouverture sur la Méditerranée. J’avais secrètement l’envie de faire un projet sur l’immigration. Je n’avais pas forcément de projet précis en tête. Mais rapidement quand je suis arrivé sur place, j’ai eu l’idée de travailler sur l’enfermement. Il y avait l’association Le Génépi qui donnait des cours dans les centres de détention, prisons, maisons d’arrêt. À l’époque, des membres du Génépi avaient été invités par la commandante du centre de rétention administrative du Canet à Marseille pour faire des ateliers – ce n’étaient pas des cours, c’était très variable en fonction des envies de chacun. Donc je m’étais joint, grâce à une étudiante des beaux-arts, au projet. C’est comme cela que je suis rentré pour la première fois dans le centre de rétention administrative du Canet. J’avais cette envie de faire de la photographie, mais je ne suis pas rentré par la photographie. J’ai privilégié l’appréhension du lieu et l’expérience de la communication avec les autres plutôt que l’enregistrement audio ou photo. Ce n’était pas vraiment un projet journalistique parce que je n’avais pas du tout envie de mener une enquête. À ce moment-là, en 2007, les médias et la politique se focalisaient beaucoup sur les sans-papiers. C’était plutôt inquiétant pour moi. Plutôt que de lire des journaux ou que d’écouter l’avis des politiciens, j’ai voulu me faire mon propre avis sur la question. C’était avant tout pour cette raison que je suis rentré dans le centre de rétention du Canet. Au bout de quelques séances où j’échangeais avec des jeunes hommes, j’ai apporté une caméra et j’ai commencé à les photographier sans en avoir l’autorisation. J’ai aussi recueilli des témoignages par l’écrit ou par le son. J’ai eu mon diplôme de troisième année avec ce projet qui a duré six mois.

 

Après l’obtention de ce diplôme de troisième année, vous êtes parti travailler à Rome. Qu’avez-vous fait là-bas ?  

 

En quatrième année, je me suis un peu éloigné des projets sociaux pour aller à Rome. J’ai fait un stage avec le collectif Stalker. Ce mouvement post-situationniste m’intéressait déjà quand j’étudiais à Bordeaux. Je me posais plusieurs questions à ce moment-là : Comment parler des marges des villes, de la vie en périphérie ? Comment décentrer le regard ? Je me suis rendu compte qu’on pouvait exprimer, par le sensible et par la création, des choses qui donnaient à repenser ce qui nous entoure. C’était vraiment une belle découverte vers 22 ans, quand on a envie de changer le monde. 

Portrait de Samuel Gratacap par Thomas Mocaer

En 2010, vous vous rendez à Lampedusa pour rencontrer « ceux qui restent » comme vous les appellez. Comment êtes-vous arrivé là-bas ?

 

Après avoir travaillé pendant tout l’été en tant que postier, j’ai quitté Marseille à la rentrée pour rester dix jours à Lampedusa. Comme d’habitude, je suis passé par les réseaux associatifs pour rentrer dans le milieu, pour avoir une meilleure connaissance du territoire, pour obtenir une location pas trop chère. Avant d’arriver sur l’île, j’avais rencontré à Palerme, par un réseau de défense des droits des migrants en France, un avocat qui m’a mis en contact avec l’association Askavusa à Lampedusa. À ce moment-là, je parlais un peu à droite et à gauche de ce que je faisais et les gens me demandaient pourquoi j’allais à Lampedusa. Ce n’était pas forcément « the place to be ». Il y a toujours eu du passage à Lampedusa, mais on ne parlait pas encore de crise migratoire à cette époque. À mon retour en France, il y avait « les printemps arabes » et l’ouverture des frontières. On me posait alors la question inverse : « pourquoi tu n’y retournes pas ? ». Mais mes intentions n’étaient pas celles-ci, mon travail n’était pas journalistique. Au contraire, je travaillais sur un temps très long, qui n’était pas du tout celui du journalisme. J’avais besoin de ce temps pour essayer de comprendre la situation et pour savoir ce je voulais raconter. J’aurais eu du mal à cette époque à traiter un sujet aussi complexe en un jour. 

 

Si votre travail photographique n’était pas journalistique, qu’était-il ? 

 

À Lampedusa, l’association Askavusa avait collecté des morceaux de lettres, de photos, de papiers d’identité ayant appartenu à des migrants. Il s’agissait surtout de choses légères et intimes que les gens pouvaient emporter avec eux. J’ai fait une série de reproductions de ces documents échoués, de ces bouts de souvenirs, qui portaient physiquement la trace de leur disparition. Je trouvais cela intéressant, l’idée de traiter un document qui porte en lui-même l’existence de personnes inconnues. La mémoire s’effaçait de ces morceaux de papier. Tout cela pouvait être palpable. Je voulais aussi parler de l’île et de son paysage, parce que Lampedusa était vouée à être une île paradisiaque et touristique, mais elle portait pourtant en elle une histoire tragique. Donc j’ai fait tout un travail photographique autour de cartes postales, qui me permettait de rendre compte de la dualité de l’île. J’ai aussi fait des portraits de ses habitants.

 

Après l’Italie, vous êtes parti travailler en Tunisie… Que cherchiez-vous à documenter là-bas ? 

 

Je suis arrivé en Tunisie en 2011, à un moment où le pays vivait un tournant politique – entre la révolution de janvier avec le renversement de Ben Ali et les élections d’octobre pour l’Assemblée constituante.

Je n’avais pas forcément envie de travailler sur les migrations, car je voyais plutôt le départ des populations comme une conséquence du régime politique. Je voulais plutôt voir comment la société civile repartait. Il y avait plus de 200 partis politiques. Je suis allé dans des QG, j’ai commence créer des liens avec des jeunes des partis politiques. Pour mon troisième voyage en Tunisie, je me suis rendu à Zarzis. À l’image de ce que j’avais fait à Lampedusa, j’ai photographié le territoire et j’ai essayé de rencontrer des gens, de trouver des histoires à raconter. 

 

Après Zarzis, vous vous êtes installé dans le camp de Choucha, en Tunisie, à quelques kilomètres de la frontière lybienne.

 

Je suis arrivé au beau milieu du désert de Choucha qui était à une centaine de kilomètres de Zarzis, parce que j’ai suivi une journaliste. Je ne connaissais pas du tout cette zone frontalière. J’ai découvert un lieu hors du commun avec des habitants hors du commun. Je suis rentré en France avec une expérience un peu avortée du journalisme. Je n’avais pas les bons réflexes, j’avais galéré avec l’envoi des fichiers, je n’avais pas transmis les photos à temps, je ne savais pas du tout travailler dans l’urgence. Et j’ai aussi assez mal vécu mon retour en France parce que je savais pertinemment que je n’avais pas compris ce lieu ni ces personnes. Il fallait que je reparte sur place et que je documente cet endroit plus longuement. Pour le faire, j’ai dû quitter Marseille et m’installer à Choucha. J’ai pu effectuer ce déplacement grâce à une bourse de 5 000€ du CNAP (fonds d’aide à la photographie documentaire, ndlr). En m’engageant à vivre sur place, je donnais la possibilité aux autres de pouvoir m’observer et m’interroger sur ce que j’étais en train de faire. Je changeais de statut – je n’étais plus une espèce de visiteur intempestif. Je vivais une expérience différente. Pour entrer à Choucha et ne pas être embêté par les militaires, j’avais un projet de volontariat avec une ONG, j’avais mis en place des ateliers d’initiation à la photographie avec des jeunes. Ce travail me permettait d’avoir une entrée et de pouvoir rester sur place. Au-delà de cet aspect, j’ai appris beaucoup du regard de ces jeunes sur leur quotidien. Pendant deux ans, j’ai tenté de représenter la vie quotidienne, de pointer du doigt les injustices. Je voulais rendre compte du fait d’être rejeté, débouté du droit d’asile, d’être sectorisé par nationalité. J’ai fait tout un travail photographique sur l’habitat précaire autour de ces tentes de l’HCR recustomisées pour devenir des maisons plus grandes par rapport aux besoins des familles. J’ai aussi réalisé une carte pour montrer la sectorisation – les gens étaient replacés dans le camp en fonction de leur statut ou non de réfugiés. Comment des gens sont à un moment ostracisés, mis au ban à l’intérieur même d’un lieu qui est déjà au ban de la société ? 

Samuel Gratacap, Guerre contre l’État Islamique, Syrte en Libye, série Fifty Fifty, 2016

Comment avez-vous présenté au public ce travail réalisé entre la France, l’Italie et la Tunisie ?

 

Pour ma première exposition personnelle au Centre régional d’art contemporain (CRAC) de Sète en 2014, j’ai montré le travail que j’avais réalisé au Canet, à Lampedusa et à Zarzis, l’exposition s’intitulait « La Chance ». C’était le moment où je terminais la série sur Choucha intitulée « Empire ». Mon regard sur ces réalités s’aiguisait. Mes choix s’affirmaient par rapport à ce sujet. J’avais de plus en plus l’envie d’y répondre de manière sensible, personnelle et subjective. J’ai aimé entrer dans ce sujet par l’exposition. J’ai pris plaisir à m’exprimer par la mise en espace. J’étais très attentif au principe d’immersion. Je voulais donner la possibilité aux gens de ne pas ouvrir un journal mais d’entrer dans une salle d’exposition pour  vivre, par le son et par l’image, cette expérience. 

 

Puis en 2014, vous partez cette fois-ci en Libye. Pourquoi vous êtes-vous tourné vers ce pays ? 

 

Après cette expérience d’exposition au CRAC qui m’avait énormément plu, j’avais aussi envie d’autre chose. J’avais ce désir d’étendre un peu mon champ d’action, de me confronter à de nouvelles règles en termes de diffusion. Mais je suis allé en Libye, parce qu’au-delà de cette envie de témoigner, je voulais retrouver ces gens, qui en attente d’une reconnaissance de leur statut de réfugié à Choucha, avaient dû repartir vers la Libye, un pays qu’ils avaient déjà fui pour des questions d’instabilité. Pour rentrer en Libye à cette époque-là, il fallait quand même des autorisations. Je n’avais aucun média derrière moi. Mais, j’ai toujours eu, au cours de mes expériences, des coups de pouce de personnes sensibles à mon travail, qui m’ont aidé, m’ont financé. Cette fois-là, c’était Agnès b qui m’a donné un peu d’argent, via son fonds de dotation, pour que je puisse partir en Libye. À force d’insistance et de persévérance, j’ai réussi à obtenir un visa. De 2014 à 2017, j’ai fait de fréquents séjours en Libye, j’y allais quatre à cinq fois par an. C’était un travail de très longue durée mais sur des périodes très courtes. 

Quel projet avez-vous réalisé à l’occasion de ces nombreux séjours ?

 

Quand je suis arrivé en Libye, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. C’était la première fois que je devais me débrouiller avec une situation politique, ethnique, tribale, organisée par les dynamiques des milices, à propos de laquelle je n’avais aucune expertise. À qui devais-je parler ? À qui devais-je ne pas parler ? 

J’arrivais un peu comme une coquille vide. Avec la série « Empire », j’avais l’impression d’être arrivé aux limites de ce que je pouvais faire en termes d’images et de témoignages, je m’interrogeais beaucoup sur l’utilité de la photographie. J’arrivais toutefois à diffuser un message par mes photographies via Le Monde, qui est un journal très lu, mais je me demandais à quoi ça servait. Il n’y avait pas forcément de réponse à cette question. Tout du moins, ces photos me permettaient de prouver et dire “ça a existé”. Comme toute bonne dictature, le pays était plongé dans une doctrine visuelle à l’effigie du bourreau. Le pays avait vécu une révolution mais avait du mal à se défaire de l’imagerie historique du « guide » comme on l’appelait. J’avais envie de construire une histoire visuelle. J’avais compris que la migration était un argument politique et diplomatique très fort, au même titre qu’un puits de pétrole, que ce soit dans un ghetto de Sabratha ou à la table d’un chef d’Etat. Comment rendre cela par l’image ? Après la Libye, j’ai commencé à travailler sur la figure du chef d’Etat, sur la représentation de la vacuité politique et du faux-semblant. Du rendez-vous pour l’image et par l’image - on signe un contrat et on se fait prendre en photo. Je voulais mettre en relation ce portrait très organisé et codifié avec les conséquences économiques et sociales de la signature d’un contrat. En collectant et en exposant les billets de banque, je voulais rendre compte des économies subsidiaires liées à la violence qui se sont crées. 

 

La série photographique, qui a été réalisée en Libye et présentée par la suite dans le cadre officiel des Rencontres de la photographie d’Arles en 2017, s’intitule « Fifty-Fifty ». Pourquoi ce titre ?

 

J’ai choisi l’expression « cinquante-cinquante » comme titre de cette série, car je m’y suis confronté à plusieurs reprises en Libye. Dans un centre de détention pour migrants, un homme m’avait dit qu’il était là  pour « vivre le fifty-fifty ». C’était soit la vie, soit la mort ; il n’avait plus d’autre choix. À Zouara, j’ai aussi rencontré Younes, ingénieur en télécommunications devenu fixeur pour journalistes, qui m’avait demandé si j’étais là pour la guerre ou pour les migrants. Comme s’il y avait un marché et que les journalistes pouvaient choisir entre les deux sujets. J’ai répondu que j’étais là pour les migrants, car je voulais rentrer dans les centres de détention, mais  qu’il me serait difficile de passer à côté de la guerre, car sa propre ville était touchée par le conflit au moment même où nous discutions. Trouver des réponses à cette question était devenu l’enjeu de ces allers retours dans ce pays. Comment répondre intelligemment et subjectivement à cette question ? 

Samuel Gratacap, Reproduction photographique d’un billet de banque, série Fifty Fifty, 2015

À partir de 2017, vous décidez de revenir vers l’Europe tout en travaillant toujours sur la question de l’exil…

 

En ayant vécu cette expérience de la Libye, en ayant eu cette expertise sur les questions migratoires, j’ai eu ce désir de revenir vers l’Europe et de travailler sur ce qui se passe sous nos fenêtres. C’est dans ce cadre que j’ai réalisé, de 2017 à 2019, le projet « Bilatéral » qui sera présenté au Quadrilatère à Beauvais dans le cadre du festival Photaumnales (du 19 septembre 2020 au 3 janvier 2021, ndlr). Je voulais travailler sur la présence des « solidaires » et sur le passage d’exilés dans les Alpes entre la France et l’Italie. Je souhaitais aussi prendre en compte ce paysage-limite d’un côté et de l’autre de la frontière autour des cols de l’Échelle et de Montgenèvre. 

 

À l'occasion de votre résidence à la villa Médicis cette année, vous décidez de ne plus vous limiter à la photographie, mais de réaliser un film. Comment s'est opéré ce glissement ? 

 

En arrivant à la villa Médicis, je pensais vraiment faire un projet photographique documentaire sur la jeunesse romaine en cette période de flou politique avec la montée des nationalismes et des idéaux d’extrême droite en Italie. Rome n’était pas vraiment la ville idéale pour cette recherche. Pour travailler sur une jeunesse politique et antifa, Bologne aurait été peut-être plutôt dynamique. À Rome, il y avait toutefois quelques groupes politisés que j’ai commencé à rencontrer. Mais je me suis rendu compte que j’avais du mal et que je n’avais plus l’envie de rendre compte de ces réalités par la photographie. Je me suis aperçu qu’à la villa Médicis on avait les moyens et le temps de réfléchir à un projet. J’en ai profité pour écrire ce qui deviendra le scénario d’une fiction en travaillant à partir de mes archives documentaires. Je n’avais pas envie de me limiter au court ou de travailler sur un temps ou un lieu donnés. Et la fiction me donnait cette liberté. 

 

Quelle est l’histoire de ce film ? 

L’histoire de ce film est la rencontre entre une jeunesse romaine qui est en mal de représentation, qui ne parvient pas à se projeter vers l’avenir et une jeunesse incarnée par Amadou qui débarque, qui n’arrive pas à trouver sa place mais qui doit avancer. Au départ, ça devait être un film politique, mais finalement c’est devenu un film romantique – ce que je n’aurais jamais imaginé réaliser un jour. Ça raconte finalement l’histoire d’une rencontre entre une fille et un garçon. 

 

Comment avez-vous procédé en terme d’écriture ? 

 

C’était beaucoup plus simple pour moi de traiter de la jeunesse romaine par la fiction que par le documentaire. Mais c’était assez intriguant parce que je demandais à ces jeunes d’être eux-mêmes face à la caméra tout en construisant une fiction. Je leur disais « vous allez être les acteurs d’un film », mais en même temps je leur demandais de rester eux-mêmes. Le film relève de la fiction, parce que le fait même de les faire se rencontrer relève de la fiction. Si c’est moi qui ai créé cette rencontre, c’est eux qui font le film. Tout est improvisé. Il n’y a pas de dialogue, seulement quelques phrases ou indications de jeu auxquelles je tenais pour la compréhension du film. Ce qui était chouette dans cette expérience de film, c’est que moi aussi je me suis fait embarqué dans cette rencontre.

Pour trouver les acteurs de ce film, vous avez organisé un casting virtuel sur Instagram. Pourquoi ce choix du digital ? 

 

Quand je me suis mis à la recherche de mes acteurs romains, je suis allé dans des universités avec Amadou pour tracter et faire du repérage, mais je n’y arrivais pas. L’idée du casting virtuel est né du confinement, parce qu’il fallait bien continuer à recruter et à travailler. C’était facile de lancer cet appel par Instagram, parce qu’à ce moment là tout le monde avait les yeux rivés sur les réseaux et plateformes visuelles. Grâce à l’application, j’ai pu cibler une tranche d’âge – les 16-25 ans – et une zone géographique – Rome et sa périphérie. J’ai pu embrasser une bonne partie de la jeunesse romaine aux origines sociales variées. C’était intéressant parce qu’à travers cette plateforme, j’ai pu réaliser en quelques semaines ce que je n’aurais même pas pu faire en un an, – confinement ou non. L’annonce a généré énormément de vues et de réponses au casting. L’ambition de tourner dans un film aujourd'hui est beaucoup plus forte que celle d’être juste modèle pour un projet documentaire. Pour l’appel à candidature, j’avais fait un petit synopsis du film. Je posais également trois questions - qu’est ce que d’être jeune aujourd'hui à Rome ? Comment percevez-vous votre ville ? Comment envisagez vous votre avenir ? Je leur demandais également de m’envoyer des photos d’eux. Leurs réponses m’ont permis de mener une sorte d’enquête sociologique. Après le casting virtuel, à la sortie du confinement, j’ai organisé un casting réel à la villa Médicis pour rencontrer les jeunes présélectionnés. À cette occasion, je leur ai reposé les trois mêmes questions et je leur ai demandé de jouer des scènes du film – celles de la rencontre, de la fête et de fin soirée sur la plage. Ensuite, on a tourné de juillet à août durant une quinzaines de jours.

 

Votre travail de préparation autour de ce film a été montré à la villa Médicis dès juillet 2020 dans le cadre de l’exposition des pensionnaires « Dans le tourbillon du tout-monde ! ». Comment présentiez-vous vos recherches ? 

Pour l’exposition à la villa Médicis en juillet, j’ai déployé l’archive qui inspire le film, parce que je n’avais encore rien tourné.

Comme j’étais en train de construire le scénario du film et que celui-ci était inspiré par l’archive documentaire, j’ai commencé à faire un travail de découpage scénique de ce que pourrait devenir le film via l’archive. Dans cette exposition, on peut découvrir un petit montage réalisé à partir des images du casting avec les futurs protagonistes à la villa Médicis. Ce qui était intéressant dans l’idée de scénographier le scénario, c’était aussi de travailler sur la question du décor et de l’objet fiction. Donc on peut également voir le décor d’un abri brûlé, qui ne correspond en rien à celui du film. Mais je voulais présenter cette baraque cramée pour mieux signifier dans l’exposition la scène de l’incendie – en réalité ce n’est pas une baraque qui prend feu mais seulement le lit d’Amadou. C’est un aller retour entre ce qui est de l’ordre de l’archive documentaire et ce qui est de l’ordre de la fiction. Ce décor est planté un peu comme un entre-deux. 

À la fin du mois d’octobre, vous allez participer à la manifestation !Viva Villa! à la collection Lambert en Avignon, qui rassemble les productions des pensionnaires de la Villa Kujoyama, de la Casa Velasquez et de la Villa Médicis de la saison 2019-2020. Pensez-vous y présenter votre film ? 

 

Comme le montage du film ne sera jamais prêt fin octobre, je n’en présenterai seulement que quelques extraits. Je ne veux pas projeter 10h de rush non plus. Je dois encore réfléchir à ce que je veux montrer. Je voudrais travailler sur une séquence, en faisant un montage très court de la rencontre à la fête jusqu’à la fin de soirée sur la plage. L’idée c’est de redéployer l’histoire du film dans l’exposition, de recréer une scénographie du scénario du film dans l’espace muséal. Du naufrage jusqu’à une course dans les Alpes, il se passe tous ces moments de rencontres, de travail, de fête, de voyage que j’ai envie de présenter par l’image. Si j’avais une prochaine exposition, dans les quelques années à venir, j’aimerais bien travailler sur cette frontière entre la fiction et le documentaire. C’est intéressant parce qu’une exposition c’est aussi un montage. Mon travail rassemble des réalités de diffusion très différentes, entre le photojournalisme et le cinéma. Ça m’intéresse de rebattre les cartes de tout ça. 

Dialogue conduit par Franny Tachon

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